Récemment, alors qu'il venait de réitérer ses propos sur les chambres à gaz – des « détails de l'histoire » -, Jean-Marie Le Pen, interviewé par des journalistes soucieux de savoir comment il appréhendait d'éventuelles nouvelles condamnations, répétait inlassablement qu'il existait en France un « délit d'opinion ». Or, de nombreux universitaires et chercheurs demandent l'abrogation de la loi Gayssot du 13 juillet 1990 qui était visée, et qui avait déjà permis plusieurs fois sa condamnation pour des faits similaires. Est-ce à dire qu'ils partagent son point de vue ?
La première demande tendant à l'abrogation de cette loi et d'autres du même type a fait suite à l'affaire Pétré-Grenouilleau. Cet historien, qui avait publié un livre sur la traite négrière, a été attaqué par un collectif d'antillais-réunionnais-guyanais pour avoir contesté l'appellation de génocide appliquée à l'esclavage. La réaction des historiens qui ont signé la première pétition, publiée dans le journal Libération du 13 décembre 2005 et ayant pour titre Liberté pour l'histoire, n'a pas tardé. « Émus par les interventions politiques de plus en plus fréquentes dans l'appréciation des événements du passé et par les procédures judiciaires touchant des historiens et des penseurs » (pour reprendre les termes mêmes de la pétition), ils réclamaient l'abrogation de quatre lois ayant pour point commun d'énoncer ce qu'elles voulaient être une vérité historique.
La première de ces lois est celle du 23 février 2005 relative aux Français rapatriés. Elle enjoint aux programmes de recherche universitaire d'accorder à la présence française outre-mer « la place qu'elle mérite ». Elle ajoute que les programmes scolaires en reconnaissent « le rôle positif ». Cette loi a été la plus critiquée, et pour le jugement de valeur qu'elle enjoint aux enseignants et chercheurs de reconnaître, et pour le peu de consensus qui règne parmi ces mêmes personnes quant à la pertinence de ce jugement.
La deuxième loi, du 21 mai 2001, dite loi Taubira, dispose que la traite négrière et l'esclavage constituent des crimes contre l'humanité et prévoit que les programmes scolaires et de recherche universitaire leur accordent la place qu'ils méritent.
La troisième loi date du 29 janvier 2001 et reconnaît le génocide arménien.
Enfin, la quatrième loi, la loi Gayssot, est différente à plus d'un titre. Elle est la moins contestée et, à l'heure actuelle, est la seule qui instaure un délit. Celui-ci consiste à nier la Shoah, c'est-à-dire, dans les termes de la loi, « l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 ».
Une autre pétition a été publiée par le journal 20mn, afin de défendre ces lois, à l'exception de la loi du 23 février 2005. Puis, le 24 décembre 2005, une troisième pétition a été publiée par Marianne. Nommée Liberté pour débattre, elle demandait elle aussi l'abrogation de l'ensemble de ces lois.
Le 12 octobre 2006, une proposition de loi a été votée à l'Assemblée nationale. Elle assortissait de sanctions pénales la loi sur le génocide arménien, ce qui a déclenché une quatrième pétition, à l'initiative du professeur Bertrand Mathieu et signée par 56 juristes. L'association Liberté pour l'histoire, constituée entre temps, a pour sa part émis un communiqué de presse, demandant que le président de la République saisisse le Conseil constitutionnel de cette loi. A l'heure actuelle, cette loi n'a toujours pas été promulguée.
Ces différentes lois, appelées lois mémorielles, font toujours l'objet d'un vif débat auquel participent des personnalités renommées. Quelles sont les implications idéologiques des différents arguments en présence ?
[...] A en croire un historien comme Olivier Le Cour Grandmaison, cela risque de poser des problèmes à nombre de personnalités françaises[7]. Au final, ce qui justifie l'abrogation de la loi Gayssot est le processus qu'elle a enclenché. Pour les signataires des différentes pétitions, ce processus se nourrit du phénomène de communautarisation à l'œuvre dans nos sociétés, qui menacerait l'unité nationale. Un communautarisme destructeur de l'unité nationale ? La pétition La liberté de débattre analyse clairement cette succession de lois comme la volonté du législateur de sanctuariser des mémoires particulières. [...]
[...] Les lois qui nous occupent, en revanche, prétendent énoncer des vérités historiques, puisqu'elles peuvent donner lieu à la condamnation de ceux qui récusent leur contenu. Dès lors, il ne peut s'agir que d'une vérité historique, ou d'une mémoire qui prétend s'imposer à la vérité historique, ce qui en fait revient au même. Mais pourquoi l'Etat ne serait-il pas dans son rôle lorsqu'il cherche à imposer une vérité historique ? Les signataires qui s'opposaient à la pétition Liberté pour l'histoire ont avancé cet argument sous une forme atténuée : dès lors que les historiens ont établi une vérité historique incontestable, l'Etat pourrait interdire sa négation sous peine de sanction. [...]
[...] Mais l'argument peut être réfuté : d'une part, tous les citoyens sont directement concernés par l'exercice de cette discipline ; d'autre part, ainsi que cela sera développé dans la seconde partie, les opinions reposent d'une certaine manière sur des principes similaires : elles sont légitimes parce que critiquables. Mais avant cela, une autre conséquence de la distinction entre mémoire et histoire reste à aborder. II. Lois mémorielles et démocratie Le débat sur les lois mémorielles s'est également placé sur les rapports qu'elles entretenaient avec la démocratie : pour certains c'est la communautarisation qu'elles impliqueraient qui serait néfaste pour la démocratie Pour d'autres, c'est les idées racistes qu'elles répriment qui sont un danger pour la démocratie A. [...]
[...] Remarquons enfin, que cette dernière position n'empêche pas de poursuivre l'incrimination de propos racistes lorsqu'ils ont un impact direct sur leurs victimes : incitations à la haine raciale, discriminations fondées sur la race, ou même atteinte aux droits moraux d'autrui, du moment que la liberté ne s'arrête pas là où autrui, fut-ce légitimement, se sent choqué[8]. La lutte contre les opinions racistes par le libre débat La récusation de cette argumentation est présente dans les pétitions. Le communiqué de l'association Liberté pour l'histoire du 12 octobre 2006 est particulièrement explicite puisqu'il dit que les libertés d'expression et de pensée sont menacées. Dans sa pétition de 2005, on peut déjà lire la proposition selon laquelle ces lois sont indignes d'un régime démocratique. La pétition initiée par Bertrand Mathieu affirme elle aussi qu'on musèle la liberté d'opinion. [...]
[...] Le cas de Maurice Faurisson est à cet égard instructif. Cet universitaire avait publié des ouvrages où il expliquait que le génocide nazi n'avait pas existé. Seulement, il n'avait jamais eu de liens avec des personnalités ou des groupes antisémites (ou en tout cas sans que cela soit de notoriété publique), et ne s'était jamais fait remarquer jusqu'alors pour des positions de cette sorte. Au point même que cette question a fait l'objet d'un débat entre historiens. La conséquence était que, devant un tribunal, il aurait été difficile de démontrer une intention antisémite dans ses écrits. [...]
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