Jusqu'où la liberté d'expression peut-elle aller ? Dans notre pays où cette liberté fondamentale est particulièrement protégée, cette question se trouve très souvent posée aux juridictions. Le tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris va justement s'y trouver confronté. Il va devoir répondre à cette question dans un arrêt rendu par la dix-septième chambre correctionnelle le 22 mars 2007.
En l'espèce, un journal satirique français a reproduit des caricatures du Prophète Mahomet parues au Danemark, dans le cadre d'une actualité « brûlante » sur ce sujet. Un journaliste de ce journal y a également fait paraître une caricature. Ces trois dessins accompagnés de textes peu élogieux sur les intégristes musulmans ont blessé une partie de la communauté musulmane. Plusieurs associations islamiques ont alors porté l'affaire devant les tribunaux arguant le fait que le délit d'injure publique à l'égard d'un groupe de personnes à raison a été caractérisé dès lors que la publication litigieuse visait à heurter la communauté musulmane dans son ensemble.
L'auteur de la caricature française va, pour sa défense arguer que ces caricatures –propres au journal satirique – ne visent que les intégristes et ajoute que de nombreux musulmans ont défendu la publication, en faveur de la liberté d'expression. Il termine par justifier la présence des caricatures Danoise par la seule actualité mondiale.
[...] Quant à la seconde caricature danoise, posant un peu plus de problèmes car ne porte nullement à rire ou à sourire mais inspire plutôt la peur et l'inquiétude le TGI va tout de même, au vue du contexte, intégrer sa parution dans le champ d'application de la liberté d'expression. Il va ainsi considérer que du fait d'un manque de volonté délibéré d'offenser directement et gratuitement, mais également du fait que ces caricatures participent à un débat public d'intérêt général, le délit d'injure n'est alors pas caractérisé. [...]
[...] Ainsi, le blasphème n'est pas une injure lorsqu'il est rattaché à un contexte qui lui est favorable et la liberté d'expression est sauve. Les juges montrent ici qu'il existe bien un droit de critiquer les religions en France mais également de représenter des sujets de vénération religieuse, aussi choquantes soient-elles tant qu'elles entrent dans un cadre propice au débat. L'absence de volonté de nuire délibérément Les juges ont insisté sur le fait que les auteurs des dessins n'avaient pas une particulière volonté de nuire aux Musulmans. [...]
[...] La caricature est alors l'outil dont disposent les journalistes afin d'évaluer jusqu'où cette liberté leur permet d'aller. Qui plus est, il convient de souligner la participation au sein de ce numéro spécial d'un comité musulman qui se positionne en faveur de la liberté d'expression. Cela illustre une nouvelle fois l'idée selon laquelle la caricature n'a d'intérêt que par le débat qu'elle occasionne sur les limites à la liberté d'expression et sort de toute volonté de nuire à un groupe religieux précis. [...]
[...] En effet, bien que le caractère outrageant, voir même choquant des caricatures soit reconnue, ce n'est pas pour autant nécessaire pour limiter la liberté d'expression. En effet, l'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme (CEDH) encadre les limitations que les états peuvent apporter à la liberté d'expression. Elles doivent être nécessaires dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire Cet encadrement, très large laisse place à une grande liberté qui ne peut être restreinte que dans des cas considérés comme graves et c'est comme cela que l'a interprété le TGI de Paris. [...]
[...] La réponse à cette question sera lourde de conséquences puisqu'il va s'agir en l'espèce de limiter ou non le champ d'application d'une liberté fondamentale telle que la liberté d'expression. Les juges ont alors voulu semble-t-il aller dans le sens d'une protection toujours plus accrue de cette liberté. Ils ont en effet décidé dans cet arrêt du 22 mars 2007 tout d'abord que la caricature française et une des deux caricatures danoises ne sont en rien répréhensibles et entrent uniquement dans le champ du blasphème, qui n'est pas un délit en droit français. [...]
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