Le droit au respect de sa vie privée est une question discutée en doctrine et source de contentieux. Par un arrêt en date du 10 juin 2004, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation apporte une contribution remarquée à ce débat.
La société Atofina, venant aux droits de la société Elf Atochem dont l'établissement de Pierre X est soumis aux dispositions de l'article L. 323-1 du Code du travail concernant l'emploi des travailleurs handicapés, doit en application de l'article L. 323-8-5 de ce même code adresser une déclaration annuelle à l'administration comprenant deux imprimés D1 et D2 sur l'effectif des salariés inscrits dans l'établissement ainsi que leur répartition géographique par catégories d'emplois. Cette déclaration doit être portée à la connaissance du comité d'établissement. La société Elf ne lui remettra pas l'intégralité des déclarations annuelles.
Reprochant à la société Elf de ne pas lui avoir remis l'intégralité de la déclaration annuelle adressée à l'administration pour les années 1995, 1996 et 1997 en omettant de joindre l'imprimé D2, le comité d'établissement a saisi le juge des référés puis le tribunal de grande instance de Lyon aux fins d'obtenir la communication de l'intégralité de ce document sous astreinte de 10 000 francs par jour de retard.
Par un arrêt en date du 24 janvier 2002, la Cour d'appel de Lyon accueille leur prétention en ordonnant à la société Elf de communiquer au comité d'établissement l'intégralité des déclarations annuelles. Les juges du fond ont ainsi considéré que les renseignements portés sur l'imprimé D2 ne relevaient pas de la vie privée des salariés et ne présentaient dès lors pas un caractère confidentiel et que l'obligation prévue à l'article R. 232-10 du Code du travail qui vise à faciliter le rôle du comité d'entreprise chargé d'étudier les problèmes spécifiques du travail des handicapés ne comportait aucune restriction par rapport à celle prévue à l'égard de l'Administration.
Mécontents de la décision des juges du fond la société Elf a formé un pourvoi en cassation composé d'un moyen unique, divisé en trois branches.
On pourra être amené à se demander dans quelle mesure la divulgation d'informations relatives à l'état de santé des salariés handicapés peut être constitutive d'une atteinte au respect du droit à la vie privée ?
La Haute juridiction par un arrêt en date du 10 juin 2004, rendu au visa de l'article 9 du Code civil et de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, casse et annule l'arrêt rendu le 24 janvier 2002 par la cour d'appel de Lyon aux motifs que d'une part, les informations divulguées, relatives à l'état de santé des intéressés, relèvent de la vie privée et que d'autre part, le comité d'établissement chargé d'assister les dirigeants de l'entreprise dans leur décision, n'est pas une autorité publique au sens de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
[...] La Cour de cassation rappelle ensuite qu'une ingérence dans l'exercice de ce droit ne peut se faire que par une autorité publique poursuivant certains objectifs limitativement énumérés. II. Une ingérence admise dans l'exercice de ce droit par une autorité publique Les juges de cassation se refusent à considérer le comité d'établissement comme une autorité publique, ce qui aurait pu justifier une atteinte au respect de la vie privée des salariés position conforme à l'évolution jurisprudentielle tendant à étendre le domaine d'application du principe du respect de la vie privée du salarié A. [...]
[...] Dans le présent arrêt, la Cour de cassation raisonne en deux temps. Elle considère tout d'abord que la divulgation d'informations relatives à l'état de santé des salariés handicapés constitue une atteinte au droit au respect de sa vie privée Elle précise enfin que seule une autorité publique peut être susceptible de s'immiscer dans l'exercice de ce droit (II). I. La divulgation d'informations relatives à l'état de santé des salariés, constitutive d'une atteinte au respect de la vie privée La 2e chambre civile de la Cour de cassation considère que les informations relatives à l'état de santé des salariés relèvent de la vie privée ayant ainsi un souci de protection accrue des travailleurs handicapés A. [...]
[...] L'évolution de la jurisprudence tend, de plus en plus, à étendre le domaine d'application du principe du respect de la vie privée et de l'article 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. L'arrêt de la première Chambre civile de la Cour de cassation en cassant l'arrêt de la cour d'appel de Lyon se veut dans la continuité d'une telle jurisprudence. Cependant, il semble qu'à vouloir trop protéger le salarié et notamment handicapé, la protection soit au final inefficace. L'arrêt illustre la difficulté et la sensibilité des cas d'espèce touchant à la vie privée. [...]
[...] On ne voit donc pas comment l'employeur pourrait communiquer des informations médicales relevant de la vie privée de ses salariés, encore moins se faire interdire de les communiquer à des tiers. L'attendu de principe tiré de la décision du 10 juin 2004 n'évoque pas la fin de l'article 8 qui précise que : il ne peut y avoir ingérence dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. [...]
[...] D'où peut être une confusion des juges de cassation qui sanctionnent le comité d'établissement. Or seuls des intérêts privés concurrents étaient en jeu. B .Une décision conforme à l'évolution de la jurisprudence tendant à étendre le domaine d'application du principe du respect de la vie privée La Haute juridiction par cet arrêt consacre une jurisprudence de tendance extensive, qui admet depuis longtemps que le salarié, même au temps et au lieu du travail, a droit au respect de l'intimité de sa vie privée. [...]
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