« Si l'on ne croit pas à la liberté d'expression pour les gens que l'on méprise, on n'y croit pas du tout. » Cette affirmation du philosophe et linguiste américain Noam Chomsky attire notre attention sur le thème qui donna aux juges de la Cour européenne des droits de l'homme1 l'occasion d'un débat animé, celui de l'ampleur du pouvoir de contrôle dont dispose l'Etat concernant la gestion de l'espace public, notamment concernant l'accès d'un groupement aux idées fortement minoritaires et contestées à ce dernier.
L'arrêt Mouvement raëlien c. Suisse rendu par la Grande chambre le 13 juillet 2012 a pour origine les faits suivants. Une association à but non lucratif suisse, le Mouvement raëlien, a sollicité en mars 2001 l'autorisation de mener une campagne d'affichage auprès des autorités de police de la ville de Neuchâtel. Ces dernières opposèrent au groupement un refus au motif, non pas de l'illicéité de l'affiche en elle-même2, mais du fait que les activités du mouvement étaient contraires à l'ordre public et aux bonnes moeurs. Or l'affiche litigieuse contenait un lien vers le site internet du mouvement, dans lequel la doctrine de ce dernier est détaillée. Cette décision fut confirmée par le Conseil communal de Neuchâtel en raison de la classification de l'organisation en tant que « secte », ainsi que par le Département neuchâtelois de la gestion du territoire. Ce dernier fonde sa décision sur la promotion de la géniocratie et du clonage d'êtres humains par l'association ainsi que sur le fait que la « méditation sensuelle » prônée par le mouvement constituait une incitation à la pédophilie.
[...] Doit-on en déduire que ces idées sont autorisées d'où du moins tolérées - mais que leur promotion sur l'espace public est interdite ? Notons que le but de cette politique est de limiter l'impact des affiches sur le public qui se serait vu démultiplier en raison du renvoi au site internet »32. La Cour dresse donc dans le cas d'espèce le début d'un régime européen de l'espace public, en affirmant notamment que les individus ne disposent pas d'un droit inconditionnel ou illimité à l'usage accru du domaine public, surtout lorsqu'il s'agit de supports destinés à des campagnes de publicité ou d'information »33. [...]
[...] Le fait que l'association requérante ai fondé son recours non seulement sur la violation de son droit à la liberté d'expression, mais également sur la violation de son droit à la liberté de religion protégé par l'article 9 de la CESDH, laisse à penser que cette dernière se considère comme un mouvement religieux. Or la grande chambre suit en l'espèce la position 13 Women On Waves et autres c. Portugal, n°31276/05, février 2009, cité dans l'opinion dissidente commune aux juges Tulkens, Sajo, Lazarova Trajkovska, Bianku, Power-Forde, Vucinic et Yudkivska Arrêt de la CA de Colmar du 5 avril 2005 et arrêt de la CA de Lyon du 24 janvier de l'arrêt. [...]
[...] Au-delà du caractère contestable de la prise en compte des idées du mouvement sur le simple fondement de l'impact potentiel du renvoi à son site internet, la Cour procède à un examen des motifs justifiant l'ingérence relativement faible. Trois éléments cumulatifs ont été pris en compte afin d'affirmer l'existence d'un besoin social impérieux : Le premier d'entre eux est la défense de la géniocratie Si ce concept constitue à n'en pas douter une forme d'eugénisme fortement contestable, il est nécessaire de souligner qu'elle est vécue comme une utopie et non comme un véritable projet politique et par conséquent n'apparaît pas propre à troubler l'ordre ou la sécurité publics Cependant, la Cour se rallie à la position du gouvernement selon laquelle cette doctrine est de nature à choquer les convictions démocratiques et antidiscriminatoires qui sont à la base de l'Etat de droit On peut néanmoins mettre en doute le fait que la simple défense de cette idée par un mouvement dont le nombre de membres peut être considéré comme anecdotique soit de nature à constituer un danger envers la démocratie. [...]
[...] Il apparaît quelque peu incohérent de considérer qu'une association commet des actes illicites justifiant une interdiction d'affichage sur l'espace public mais ne pas l'interdire et autoriser son site internet, accessible à tous y compris aux mineurs. Il semble que les autorités n'aient pas souhaité aller au bout du raisonnement développé pour justifier cette interdiction. Si certaines idées du mouvement ne doivent pas être diffusées sur la voie publique car les juridictions estiment qu'elles portent atteinte à l'ordre public, il apparaîtrait logique de dissoudre l'association et/ou d'interdire son site internet. [...]
[...] adoptée par la chambre, en refusant d'examiner cette allégation16. Bien que la Cour refuse explicitement de débattre du caractère potentiellement religieux du mouvement et de son idéologie, il apparaît dès lors étonnant qu'elle le qualifie de groupe à connotation censément religieuse Notons que le département neuchâtelois de la gestion du territoire avait admis que la doctrine du mouvement constituait une conviction religieuse protégée par la liberté de religion et de croyance »17. Bien que la question du caractère sectaire de l'organisation soit sous-jacente comme le démontre notamment l'examen des activités litigieuses de l'association évoquées précédemment notons que la Cour n'y fait à aucun moment référence. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture