Lorsqu'un pays connaît une période de « crime de masse » (caractérisé par la violation systématique et administrativement organisée des droits humains. La Shoah constitue l'exemple type pour l'Europe Occidentale), il s'ensuit généralement une période de transition très délicate. L'ensemble de la population peut être d'accord pour progresser vers la démocratie et reconstruire le pays sur des bases nouvelles, tous ne s'accordent pas sur la meilleure méthode à suivre. Faut-il tout oublier (et proclamer une amnistie générale) afin de recommencer quelque chose de totalement nouveau ? Faut-il juger les coupables et les punir sévèrement afin de souder la population autour de nouvelles valeurs, libérales cette fois-ci ?
Mark Osiel, professeur de droit à l'université d'Iowa, est un très éminent juriste américain. Il aborde ces questions difficiles dans son livre, Juger les crimes de masse -la mémoire collective et le droit, dont nous allons ici résumer les deux premiers chapitres.
Entre la théorie qui prône l'amnistie totale, et son contraire exact (la théorie qui réclame un jugement et une peine exemplaires), il tente de défendre une thèse intermédiaire. Car la punition ne peut en effet suffire dans les cas où une très grande partie de la population a participé aux exactions (ex: Apartheid en Afrique du Sud, dictature militaire en Argentine). Le seul moyen pour la justice de contribuer alors à la reconstruction de la solidarité sociale n'est plus la punition mais la discussion; le procès est en effet l'occasion de faire discuter les parties adverses; il constitue donc la seule possibilité de construire un lieu commun de débat respectueux et démocratique.
Cette conception particulière de la justice, nommée « justice reconstructive », qui anime de très nombreux débats dans le domaine du droit international depuis une décennie, se trouve ici défendue avec rigueur et brio.
[...] Le seul moyen pour la justice de contribuer alors à la reconstruction de la solidarité sociale n'est plus la punition mais la discussion ; le procès est en effet l'occasion de faire discuter les parties adverses ; il constitue donc la seule possibilité de construire un lieu commun de débat respectueux et démocratique. Cette conception particulière de la justice, nommée justice reconstructive qui anime de très nombreux débats dans le domaine du droit international depuis une décennie, se trouve ici déŽfendue avec rigueur et brio. Introduction Ce livre entreprend de poser le problème de la justice de transition. On désigne par cette expression l'ensemble des mécanismes judiciaires qui sont mis en place, au lendemain d'un massacre administratif (la définition du massacre administratif est donnée p. 32: "Un massacre administratif [ . [...]
[...] Dans le cadre du procè Il ne s'agit donc pas alors de voir le procès comme l'expression monolithique d'un sentiment collectif, mais de l'examiner dans sa dynamique propre, comme articulation de récits concurrents. Ce qui compte alors, c'est ce lieu commun (le forum que constitue le tribunal) au sein duquel viennent se succéder les thèses contradictoires; ce qui importe, ce sont les transactions complexes entre ces divers récits, la forme qu'ils prennent, l'environnement dans lequel on les écoute. Osiel évoque Simmel, et sa thèse selon laquelle le fait même d'entrer en conflit avec autrui dans un cadre défini crée une forme de relation, et donc quelque chose comme un monde commun. [...]
[...] Le rôle des institutions libérales n'est pas ainsi de faire émerger les conflits mémoriels enfouis dans la société, et de faire proliférer les interprétations dans leur multiplicité. Ces conflits sont au contraire un défi pour le libéralisme; son rôle est faire en sorte que leur existence permette l'émergence d'une solidarité seconde, qui résulte de leur effectuation contrôlée et régulée dans un espace formalisé sur le mode procéŽdural (l'espace judiciaire du procès pénal). Cette solidarité seconde est justement la solidarité discursive. [...]
[...] Selon Durkheim, nos sociétés modernes ne reposent pas entièrement sur ce consensus à propos des valeurs, au contraire. L'interdépendance fonctionnelle, les intérêts convergents des membres de la société, qui naissent de la division du travail, contribuent beaucoup plus au renforcement de la solidarité sociale (cette solidarité-là est de type, non mécanique, mais organique). Les libéraux les plus stricts considèrent même que la solidarité mécanique n'a rien à voir avec nos sociétés modernes, et qu'il ne doit pas être question de rechercher un consensus sur les valeurs, mais simplement d'éviter au maximum la discussion et le conflit à propos de ces mêmes valeurs (puisqu'elles ne sauraient être l'objet d'un consensus). [...]
[...] On considère en effet que le crime viole certaines dispositions de la conscience collective (définie par Durkheim comme "l'ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne des membres d'une même société"), suscitant par là des émotions viscérales de dégoût et de rejet de la part de cette société. Ces émotions prennent donc forme dans les rituels judiciaires: dans la peine, ces sentiments s'expriment; la société s'en voit libérée sur le mode cathartique. Tout à la fois, ce sentiment (dégoût, rejet, haine) collectif se voit structuré par la forme qu'il prend dans le procès judiciaire. [...]
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