Aubry et Rau enseignaient au milieu du XIXe siècle que « l'intérêt social exige que l'autorité de la loi et la confiance qu'elle doit inspirer aux citoyens ne soient pas ébranlés par la crainte qu'un changement de législation ne vienne anéantir ou modifier les droits antérieurement acquis. ». En effet, le principe de non-rétroactivité de la loi – c'est-à-dire qu'une loi ne s'applique pas pour des situations réalisées antérieurement à la promulgation de la loi – était considéré comme le « palladium de tout l'ordre social » d'après le tribun Curré. Cependant, même si l'article 2 du code civil de 1804 énonce que « la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif », le principe de non-rétroactivité de la loi n'a pas toujours été appliqué dans la législation française depuis 1789 : on a préconisé le principe de rétroactivité de la loi pendant un certain temps. Rappelons toutefois que le problème de l'application de la loi dans le temps ne s'est pas posé pendant des siècles. En effet, avant 1789, dans un contexte de droit coutumier, le conflit de la loi dans le temps se posait difficilement. A partir du XVIe s, la question commence à se poser dans la mesure où le roi promulgue parfois des lois en matière civile. Toutefois, cette question reste une question d'école car le roi ne promulgue que rarement des lois. C'est pourquoi pendant longtemps, la question de l'application de la loi dans le temps était caractérisée d' « abstraction métaphysico-légale ». Cette dénomination est valable jusque dans les années 1792-1793. A partir de cette époque, la Révolution décide d'utiliser la rétroactivité de la loi comme une arme politique pour imposer les nouveaux principes : le problème de la rétroactivité de la loi dans le temps devient un problème crucial, qui intéresse les juristes et encombre les cours d'appel, et cela d'autant plus que la sûreté des citoyens est mise à mal. En effet, si la loi acquière un caractère rétroactif, les citoyens n'ont plus confiance en elle : elle vient bouleverser leur position ainsi que les diverses prévisions qu'ils avaient faites pour leur avenir et celui de leurs enfants. Les citoyens se trouvent ainsi dans une position d'insécurité totale, ce qui n'est pas conforme au principe de sûreté – proclamé dans les textes constitutionnels de la Révolution. Ce sentiment d'insécurité n'a guère duré puisque rapidement, dès 1795, le principe de rétroactivité de la loi est évincé par celui de non-rétroactivité. L'intérêt de ce sujet réside alors dans le fait que le principe de non-rétroactivité de la loi n'a pas toujours été appliqué depuis 1791 – date à laquelle la première loi rétroactive est promulguée – mettant à mal la sûreté des citoyens et cela au nom de deux principes issus de la Révolution. Ainsi, dans quelle mesure le principe de non-rétroactivité de la loi a-t-il connu des vicissitudes entre 1791 et 1815 ? Bien qu'étant au fondement du nouvel ordre politique et consacré dans le code civil de 1804 (I), le principe de non-rétroactivité de la loi a connu des variations depuis 1791 (II).
[...] La sûreté impliquait alors un certain respect des habitudes et des manières sur le plan sociologique et trouve sa traduction dans la non-rétroactivité de la loi, sur le plan juridique. Le principe de non-rétroactivité de la loi constitue alors le palladium de tout l'ordre social d'après le tribun Curré. Par ailleurs, pour Berlier, ce principe est conforme à l'esprit révolutionnaire, car la Révolution promettait aux citoyens la sûreté, c'est- à-dire le respect des droits acquis. Le principe de non-rétroactivité est donc bien une garantie pour le citoyen. [...]
[...] Au terme de ce débat, Portalis en arrive à la conclusion suivante : le juge doit faire respecter les droits acquis conformément à la volonté du législateur. Ainsi, le devoir de conscience de respecter la non- rétroactivité de la loi était érigé en commandement de la loi. En tant que telle, cette prescription s'imposait au juge. En effet, l'article 2 n'avait qu'une finalité : convertir un principe de droit et de morale en une disposition législative. C'est pourquoi, si le législateur était amené à prendre une disposition législative, le juge devrait alors faire abstraction des droits acquis. [...]
[...] Cependant, des voies s'élevaient pour déclarer que ces exceptions étaient contraires au principe d'égalité, issu de la Révolution : l'égalité était une et indivisible, elle était ou elle n'était pas. Il convient alors d'abroger les exceptions de la loi d'avril 1791. En 1792, le législateur promulgue des lois concernant les successions, qui seront rétroactives aux successions ouvertes avant leur promulgation et même à des successions déjà partagées. De même, en 1793-1794, la Convention prend des lois rétroactives en matière successorale. C'est dans le but d'instaurer une république égalitaire que la Convention veut mener une politique tendant à édicter l'égalité dans les partages successoraux afin de détruire les grandes fortunes. [...]
[...] Il apparaît donc que le principe de non-rétroactivité garantit la sécurité économique, sociale et juridique des citoyens et qu'il a été consacré à l'article 2 du Code civil. Cependant, avant 1804, ce principe n'a pas tout le temps été appliqué et a donc connu des vicissitudes. Les vicissitudes du principe de non-rétroactivité entre 1791 et 1815 Entre 1791 et 1794, c'est le principe de rétroactivité de la loi qui est appliquée dans la législation française, et ce, au nom de l'égalité des citoyens alors qu'à partir de 1795, le principe de non-rétroactivité est appliqué au nom de la propriété 1791-1794 : la rétroactivité de la loi au nom de l'égalité Dès 1791, plusieurs lois rétroactives ont été adoptées par le législateur, surtout en matière successorale, pour imposer le nouveau régime. [...]
[...] Les enfants naturels devaient être contraints de restituer ce qui (avait) été volé En effet, la constitution ne garantissait-elle pas l'inviolabilité de la propriété ? Cependant, une question essentielle était laissée en suspens : les dispositions des contrats de mariage, donations, testaments stipulées sous l'empire de l'ancien droit et incompatibles avec l'égalité des partages établis par les lois révolutionnaires devaient-elles retrouver force par l'effet du rapport de la rétroactivité ? La réponse était affirmative à condition que les droits aient été acquis irrévocablement sous l'empire de l'ancienne législation. [...]
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