À l'époque monarchique et à l'époque féodale, il n'existait pas de séparation entre les pouvoirs. La conception de la justice y était très large, le juge de l'Ancien Régime rendant des actes judiciaires, mais aussi administratifs, réglementaires, voire législatifs. Le droit de justice constitue donc un enjeu de pouvoir primordial qui sera l'objet d'une course au pouvoir opposant les justices particulières concédées comme les juridictions ecclésiastiques, seigneuriales et urbaines, et la justice royale déléguée ou retenue.
Ainsi, à partir du XIIIème siècle, le combat initié par les Capétiens pour instaurer la primauté de la justice royale et former un Etat se heurte à cette diversité de juridictions.
La justice avait en effet été accaparée à l'époque féodale par des particuliers, des collectivités agissant en leur nom propre, ce qui a fait dire à Philippe de Beaumanoir « chacuns barons est souverains par dessus tout ».
Le droit médiéval a lié étroitement souveraineté et justice. Ainsi, le roi, à partir du XIIIème siècle, affirme sa souveraineté en faisant reconnaître pacifiquement la primauté de sa justice face à la féodalité. La royauté capétienne a en effet renforcé son autorité et ainsi étendu son territoire au-delà de l'Ile de France, grâce au système hiérarchique de la société féodale. Le roi était le suzerain de tous les seigneurs, et les grands vassaux recouraient à la Cour féodale pour arbitrer leurs conflits. Par ailleurs, les légistes conseillant le roi ont allié des principes du droit Romain, aux principes féodaux, afin de créer un élan nouveau. À la fin de la féodalité, les jurisconsultes proclament le principe selon lequel les différents juges du royaume sont uniquement des instruments du roi, au service de son devoir de justicier. Ces même jurisconsultes avaient un adage, traduisant leur volonté de lutter contre les juridictions particulières; « le roi est fontaine de toute justice » .
Il convient ensuite de se demander si le combat mené par la royauté s'est soldé ou non par un échec et si la reconquête de la justice, par les Capétiens puis les Valois, a assuré la construction de l'Etat en France.
Charles Loyseau, juriste publiciste du XVIIème siècle se réclamant de Jean Bodin, et fervent défenseur de la souveraineté; compare en 1603 la confusion des justices en France, avec les langues de la Tour de Babel. La justice française est pour lui une cascade entraînant les plaideurs de chute en chute.
Ces témoignages tendraient à montrer qu'au XVIIème siècle, la royauté n'a pas encore réussi à instaurer un système unique en matière de justice. Mais si la justice royale n'est pas parvenue à faire disparaître intégralement les justices concurrentes, force est de constater qu'à partir du XVIème siècle elle leur a ravi la première place.
Faute de puissance, le roi n'a pu agir trop directement, connaissant les limites réelles de sa législation. Cette affirmation s'est alors faite insidieusement, c'est à dire par le biais de la pratique journalière (I) et au détriment des justices seigneuriales et ecclésiastiques (II).
[...] La subordination des juridictions seigneuriales Dès le XIIIème siècle, les agents royaux se sont attaqués plus ou moins ouvertement aux justices seigneuriales à l'aide de trois procédés essentiellement, à savoir: la théorie de la prévention la procédure de l'appel et enfin la théorie des cas royaux La théorie de la prévention. Prévenir une juridiction consiste à se saisir d'une affaire avant elle bien qu'elle soit normalement compétente. La prévention est fondée sur une présomption de négligence du juge des saisies et sur le principe que toute justice émane du roi. Il semble que l'intervention des juridictions royales, par la voie de la prévention, ait d'abord été cantonnée à certains cas particuliers qui variaient suivant les provinces: dot, douaire, testament, action possessive, délit et crime commis sur les grands chemins. [...]
[...] A partir de la fin du XIIIème siècle, la réforme de la procédure des cours royales, instaurée par saint Louis, a donné à ces juridictions les moyens d'une concurrence efficace. Les juges royaux, surtout les baillis et les sénéchaux, ont poursuivi avec vigueur cette lutte journalière, très juridique contre les juridictions ecclésiastiques. Les évêques ont protesté fréquemment en appelant au roi. Celui-ci tempéra, le cas échéant, l'ardeur des baillis mais laissa agir le parlement dont l'action était plus subtile et plus efficace. [...]
[...] Il pouvait donc reprendre ou retenir sa propre justice à tout moment pour l'exercer lui-même avec l'aide de son conseil (issu de l'ancienne cour du roi): c'était la justice retenue au-dessus de la justice déléguée. Loin de constituer un abus de l'absolutisme ces interventions royales étaient pour la plupart sollicitées par les plaideurs eux-mêmes, pour qui le roi restait l'ultime recours. Le Conseil, simple organe consultatif, n'avait d'autre autorité que celle du roi et aucun pouvoir de décision propre. Il était devenu l'instrument principal de la justice retenue. Le Conseil était censé connaître en premier lieu du contentieux administratif et fiscal, des procès entre particuliers, ou des corps, et l'administration. [...]
[...] Sollicitées par un plaideur, elle visait à modifier le cours de l'instance (lettres de justice) ou à l'interrompre (lettres de grâce). Distinctes des lettres de chancellerie, les lettres de cachet, expédiées directement par un secrétaire d'Etat, relevaient aussi de la justice retenue lorsqu'elles ordonnaient l'enfermement d'un sujet dont la mauvaise conduite ou le comportement troublait l'ordre public. La justice retenue se manifestait encore par l'évocation des procès qui permettait au roi de retirer la connaissance d'une affaire aux juges normalement compétents pour la remettre à des commissaires spécialement désignés: pratique souvent dénoncée comme arbitraire d'autant qu'elle était utilisée dans les procès politiques ou dans la répression des crimes d'hérésie et de sorcellerie. [...]
[...] En outre, fort de l'autorité morale que lui conférait le droit romain le roi, présenté comme étant la loi, s'arrogea la faculté de nommer (par lettres de chancellerie royale) et révoquer ceux à qui il confiait l'exercice de son pouvoir judiciaire, à l'exception des tribunaux consulaires où siégeaient des marchands élus par leurs pairs. Mises en place de manière empirique, les juridictions de roi se sont organisées et hiérarchisées. Elles comprenaient en principe cinq degré, soit par ordre croissant; celui des juridictions anciennes locales, les prévôtés, vigueries, vicomtés, celui plus important des baillages et sénéchaussées, celui des présidiaux qui se distinguait à peine du précédent, celui essentiel des parlements et conseils souverains, enfin celui du roi en son conseil. [...]
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