« Les mains avoit pleines de sang, les gryffes comme de harpyes, le museau à bec de corbin, les dents d'un sanglier quadrannier, les yeus flamboyans comme une gueule d'enfer, tout couvert de mortiers entrelacés de pillons : seulement apparaissaient les gryffes » Ainsi Rabelais décrit-il, dans son Pantagruel, le personnage du magistrat Grippeminaud, reflétant le sentiment, partagé par l'opinion, selon lequel les magistrats de l'Ancienne France sont à la fois rapaces, cupides et corrompus. Un siècle plus tard, La Fontaine n'est pas plus indulgent à l'égard des magistrats dans la morale des animaux malades de la peste : « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de la cour vous rendront blanc ou noir ». Pas plus que ne l'est Beaumarchais, le siècle suivant, quand il introduit, dans son Mariage de Figaro, le ridicule personnage de « don guzman brid'Oison », qui n'est pas sans rappeler le magistrat Goëzman à qui il a eu personnellement affaire.
Cette critique quasi uniforme du monde littéraire, relayée dans la conscience collective de l'époque, est fortement contrastée par les magistrats eux-mêmes qui invoquent, au contraire, la modicité de leurs revenus et le désintéressement de leur fonction. Ainsi le président des Brosses du Parlement de Bourgogne se plaint-il, dans une harangue officielle de 1750 : « si les magistrats étaient excités par des motifs d'intérêt personnel, ils seraient bien inconséquents de s'être dévoués aux fonctions les plus désintéressées. Le juge le plus intègre, le plus instruit, le plus assidu voit prolonger ses jours jusqu'au terme le plus reculé sans autre fruit d'un travail continuel que la satisfaction d'avoir servi son prince et sa patrie. Son devoir lui suffit ; il le remplit sans espérance et sans crainte. La pureté de ses sentiments le dédommage de l'impossibilité de parvenir la fortune et de l'heureuse inexpérience des moyens d'y parvenir. »
Les magistrats de l'Ancien Régime étaient-ils effectivement guidés par le seul intérêt général, ou, au contraire, aussi intéressées que le suggèrent les hommes de lettre de l'époque? Le système de revenus qui leur était appliqué favorisait-il ou évitait-il les excès des magistrats ?
Si les sources de revenus sont diverses, elles ne le font pas vivre (I). Les abus bien réels provoqués par ce système de revenus, doivent cependant être relativisés (II).
[...] Cette première source de revenus pour les magistrats est particulièrement faible, et irrégulière. La modicité des gages concerne l'ensemble des juridictions. Les gages, en effet, représentent tout d'abord une part infime des charges dans les juridictions inférieures. Ainsi, le montant des gages des substituts dans les bailliages est fixé à 70 livres par l'édit qui crée ces offices en 1691. Quant aux gages des hauts personnages d'un Parlement, qu'il s'agisse du premier président, du procureur général, ou encore des présidents à mortier, ils représentent, certes, les gages les plus importants, mais qui sont également négligeables étant donnée la part considérable des frais de représentation perçus à l'époque comme étant à l'égal de leur naissance et de leur mérite. [...]
[...] Plus généralement, on condamne la corruption des magistrats. Ainsi le juge lorrain malhonnête (texte du recueil) aurait dans tous les temps, vendu la justice en recevant du vin, du poisson et d'autres commestibles à condition qu'il rendroit un jugement favorable. Les conseillers au parlement de Normandie auraient, de la même manière, abusé de leur droit de faire entrer du vin en franchise, pour le revendre au tarif habituel. Les dérives du système des épices amènent Maupeou, dans sa grande réforme de la justice de 1771, à supprimer les épices, à augmenter le montant des gages plus importants, et à introduire un.« registre de pointe dans lequel le greffier inscrit le nom des membres présents à l'audience. [...]
[...] D'abord, parce que les quelques grandes fortunes doivent moins être attribuées à la corruption qu'au cumul des offices (deux tiers des clercs du parlement de Paris cumulent prébendes canonicats et abbayes, par exemple) et à la Puissance terrienne, parfois seigneuriale des parlementaires Les biens des magistrats leur procurent parfois d'importants revenus : ainsi, selon J.-P. Royer, dans une région pourtant réputée assez pauvre comme la Franche-Comté, sur les 78 magistrats du Parlement qui se trouvent en charge à la Révolution seulement ne possèdent pas de seigneurie. Exploitant leurs terres, les magistrats joignent donc souvent la qualité de juge seigneurial, de haut justicier de la terre, à celle de juge d'appel. Par ailleurs, si des abus ont certes été caractérisés, il reste qu'on ne choisit pas, à l'époque, la voie de la magistrature pour s'enrichir. [...]
[...] Ainsi les parlements de Paris décident- ils qu'ils ne prendraient plus les espices en espèces, mais en argent comptant dans les arrêts du 12 mars 1369 et du 4 juillet 1371. Les épices deviennent ensuite obligatoires et exigibles sous la contrainte à partir 1402 à Paris, et dès la création des parlements de province. Comme les gages, elles sont assez modestes. Au Parlement de Grenoble, elles ne représentent, par exemple, qu'un à deux pour cent du prix de l'office, d'après J.P. Royer. Aux modestes gages et épices s'ajoute une troisième forme de rémunération des magistrats constituée par les divers privilèges associés à leur fonction. [...]
[...] Le système de revenus qui leur était appliqué favorisait-il ou évitait-il les excès des magistrats ? Si les sources de revenus sont diverses, elles ne le font pas vivre Les abus bien réels provoqués par ce système de revenus, doivent cependant être relativisés (II). I. La diversité des sources de revenus Les magistrats perçoivent, d'une part, des revenus censés être fixes et donnés par le roi, les gages et, d'autre part, des revenus variables, qu'il s'agisse des fameuses épices fournies par les parties au procès ou d'autres privilèges, qui représentent davantage des économies que des sommes perçues. [...]
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