« Saisir l'esprit des lois » : telle est l'entreprise faramineuse que Montesquieu (1689-1755) décide de mener à bien en 1728, lorsqu'il entame la rédaction de l'ouvrage du même nom. Vingt ans plus tard, nourris d'observations glanées aux quatre coins du mode, ce ne sont pas moins de 31 livres eux même subdivisés en chapitres qu'il publie à Genève sous couvert d'anonymat. Pari réussi, si l'on en juge par le sort que lui a réservé la postérité, en l'imposant à la fois comme une des figures emblématiques d'un mouvement philosophique aussi polymorphe que les Lumières et surtout comme l'inspirateur des textes constitutionnels des démocraties contemporaines.
Quoique insaisissable homme de contradictions, Montesquieu est unanimement loué pour ce rôle-clef de théoricien de la distribution des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, et la manière dont il y adjoint une exigence de garantie des libertés et droits fondamentaux. Inutile de préciser que ces apports théoriques, résolument novateurs et dont la pérennité semble assurée, a d'abord contribué à l'éclosion des Lumières (après Locke) puis fourni une palette d'outils intellectuels précieux aux acteurs des révolutions française et américaine. Juriste de formation et avocat au Parlement de Bordeaux, Montesquieu donne un avis original sur le pouvoir judiciaire dans l'examen qu'il entreprend (à la lumière de la Raison) des cadres préexistants de la société d'Ancien Régime. En faisant de ce qu'il appelle « la puissance de juger », à savoir la fonction de règlements des litiges par une stricte application de la Loi assurée par des magistrats et auxiliaires de justice, un champ d'action privilégié, le philosophe pressent le statut particulier de ce pouvoir, et énonce des principes d'organisation politiques dont se ressentent nos société plus de deux siècles plus tard.
C'est précisément en vertu de cet impact patent du discours du baron de Montesquieu sur le long terme qu'il apparaît plus que légitime de se demander comment un aristocrate foncièrement conservateur a pu mener une réflexion nouvelle sur le pouvoir de juger. Quelles caractéristiques a-t-il attribué à ce pouvoir et quel « modèle » en a-t-il extrait pour les sociétés ? En quoi les activités juridictionnelles relèvent elles d'un statut singulier au sein de l'ensemble des activités étatiques alors même qu'il qualifie la puissance de juger de « nulle » ?
Nous répondrons à ces interrogations en étudiant successivement les trois postures du philosophe face au judiciaire : l'observateur, le régulateur et enfin le réformateur (c'est-à-dire la manière dont il a analysé, modéré et légitimé l'application des lois)
[...] Montesquieu oublie que cette monarchie a tendance à se métamorphoser en oligarchie et surtout que les interférences entre les pouvoirs sont encore fréquentes. Georges I et Georges II étant quasi apathiques face à l'aristocratie, l'exécutif et le législatif sont aux mains du Parlement dans la pratique pendant leur règne, même si, on le verra, le pouvoir judiciaire est pensé de manière très originale par les Anglais. Les implications sur la théorie des climats sont multiples, mais souvent très contestables, car si le milieu géographique peut fournir un élément d'explication de la mise en place des institutions, il semble peu crédible d'établir une causalité stricte entre les deux (cette idée, aux antipodes d'une géographie vidalienne obsolète, est notamment développée par Raymond Aron). [...]
[...] Le bilan de Montesquieu sur le pouvoir judiciaire serait peut-être alors moins pessimiste qu'on ne le croit. Conclusion En définitive, bien qu'il semble difficilement contestable que la puissance de juger les crimes et les délits dispose de relativement peu de liberté pour remplir toutes les caractéristiques d'un véritable pouvoir, il ne faudrait pas pour autant omettre la novation de cette analyse, qui est la première à instituer une trinité au sein de l'appareil étatique, c'est-à-dire à prévenir l'absorption du judiciaire par l'exécutif en en faisant un pouvoir autonome. [...]
[...] III Montesquieu réformateur du pouvoir judiciaire : vers un justice indépendante La théorie dite de la séparation des pouvoirs a. Il faut que le pouvoir arrête le pouvoir Avant d'expliciter le dispositif de la séparation des pouvoirs tel que l'entend Montesquieu, il convient de préciser l'objectif majeur dans lequel s'inscrit cette théorie : si l'exécutif, le législatif, et plus encore le pouvoir judiciaire doivent être distinct, c'est avant tout pour garantir un principe inaliénable de liberté. En d'autres termes, le juriste tisse un lien essentiel entre liberté et justice, qu'il associe étroitement à la notion de sûreté La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent : par cette phrase très éloquente, il affranchit les trois pouvoirs de toute dimension contraignante et en fait au contraire des gages de liberté. [...]
[...] Montesquieu et le pouvoir judiciaire Sommaire Introduction . I Montesquieu observateur du pouvoir judiciaire : l'avènement d'une véritable science politique Une étude comparée des systèmes judiciaires a. L'érudition au service de l'observation b. Des voyages formateurs La scientificité de la démarche : de l'empirisme aux généralités a. Des systèmes judiciaires tributaires de multiples facteurs b. Les effets pervers d'une étude sous l'angle du déterminisme II Montesquieu régulateur du pouvoir judiciaire : une autorité juridique factice ? [...]
[...] Il faut effectivement le rappeler, la justice ne s'exprime pas que sur le justiciable, elle s'applique également au citoyen lambda dans sa double fonction (répression ET protection) Or, un magistrat peut être incompétent sans nécessairement être influencé par une autorité politique, ne serait ce que s'il met à profit ce statut pour exprimer une opinion, personnelle. C'est ce risque potentiel de dérive vers une justice quasi kafkaïenne qui implique de se demander comment le pouvoir judiciaire peut être actif socialement sans une légitimité propre. [...]
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