Abus, droit
Si certains historiens du droit affirment que l'on peut identifier des traces de l'application de la théorie de l'abus de droit en droit romain (selon la maxime : « male enim nostro jure uti non debemus » ), cette théorie a été formalisée pour la première fois en droit français à la fin du XIX° siècle dans la jurisprudence de la Cour de Cassation. Ayant à traiter des ruptures abusives de contrats de louage d'ouvrage par les patrons au détriment des ouvriers, la Cour était ni plus ni moins confrontée à une question essentielle du droit et notamment du droit des obligations : fallait-il conserver, comme le souhaitait Ripert, une conception purement individualiste et volontaire des droits (primat de l'autonomie de la volonté, lecture à la lettre du Code Civil) ou fallait-il au contraire adopter une conception beaucoup plus sociale des droits en partant du principe que si l'Etat accorde aux individus des droits subjectifs dans une fin avant tout sociale, il est antisocial et donc allant à l'encontre de l'esprit de la loi, d'abuser de ses droits ?
[...] L'assemblée plénière de la Cour de cassation l'a du reste affirmé à propos de grévistes détruisant l'instrument de travail ou empêchant, par des piquets de grève, l'exercice, par d'autres salariés, de leur liberté de travail. La question centrale qui se pose dans la théorie de l'abus de droit est de savoir comment déterminer le moment où l'exercice d'un droit cesse d'être licite pour devenir abusif. Il faut tout d'abord préciser qu'il ne s'agit pas de n'importe quel droit. Les droits discrétionnaires, c'est-à- dire insusceptibles de contrôle, sont exclus : tel est le cas, par exemple, du droit de refuser son consentement au mariage d'un enfant mineur. [...]
[...] Cependant, le champ de l'interdiction de l'abus de droit dépasse le cadre du contrat et couvre l'ensemble du droit privé. D'abord en droit des sociétés : les interventions du juge pour invalider des décisions de l'assemblée générale contraires à l'intérêt social sont fréquentes, que ce soit pour annuler une augmentation du capital qui a pour objectif unique de renforcer la position dominante des actionnaires majoritaires, ou pour mettre en échec une minorité de blocage paralysant le conseil d'administration. En droit pénal, on retrouve le concept dans l'intitulé même de certaines infractions. [...]
[...] Il est d'ailleurs étonnant que la notion de régulation, d'équilibre des pouvoirs, qui était déjà prégnante en droit public français, s'impose à nouveau par l'influence de la notion d'abus de droit, initialement issue du droit privé. Dans cette perspective, le principe d'abus de droit a trouvé à s'appliquer non plus seulement comme le veut la tradition constitutionnelle entre les pouvoirs judiciaires, législatif et exécutif, mais également aux droits et aux relations entre organes publics ou représentants de l'Etat et administrés. Ainsi vont se développer des notions telles que l'usage abusif du pouvoir de police, l'abus du droit de grève, l'abus du droit portant atteinte à la liberté syndicale, etc. [...]
[...] Certes, le temps n'est plus où l'on pouvait dire comme Balzac dans Albert Savarus : Un procès, mais c'est très amusant, il jette un intérêt dans la vie, l'on va, l'on vient, l'on se démène Mais les luttes judiciaires n'ont guère perdu de leur âpreté et les plaideurs ne savent pas toujours se garder de tout usage abusif de leur droit de recours. L'abus revêt des aspects très divers : abus du droit d'ester en justice, abus des voies d'exécution, manœuvres abusives au cours du procès. La théorie de l'abus de droit, qui partait pourtant avec un handicap sérieux, puisque sa définition prêtait à controverses, semble pourtant avoir acquis un succès considérable à la fois en droit privé et en droit public. La sanction de l'abus de droit contribue-t-elle pour autant à une régulation efficace et légitime du droit ? II. [...]
[...] L'abus de droit, cet oxymore qui dérange la doctrine La théorie de l'abus de droit divise la doctrine, et est entachée de critiques formulées par certains auteurs. De prime abord, cette théorie présente en effet une indéniable contradiction entre les termes abus et droit particulièrement mise en exergue par Planiol. Planiol niait, au nom de la logique, l'existence même de l'abus de droit. Après avoir constaté la tendance doctrinale et législative à bien reconnaître la théorie moderne de l'usage abusif des droits, il estimait que cette nouvelle doctrine repose tout entière sur un langage insuffisamment étudié ; sa formule usage abusif des droits est une logomachie, car si j'use de mon droit, mon acte est licite ; et quand il est illicite, c'est que je dépasse mon droit et que j'agis sans droit. [...]
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