Le XVIIIème siècle s'est posé la question de l'organisation de la paix et de nouvelles relations de droit entre les peuples. Les pratiques diplomatiques et juridiques de l'Ancien Régime sont soumises à une critique radicale qui permet l'élaboration d'une nouvelle perspective politique que Marc Bélissa nomme une cosmopolitique du droit des gens, c'est à dire un projet visant à la construction d'une société civile des nations, dans laquelle le droit des gens cesse d'être une simple jurisprudence positive de la guerre et des ambassades pour devenir un lien éthique entre les peuples. La perspective de la cosmopolitique du droit de gens revient à celle de l'organisation des droits de l'homme dans leur universalité. Le droit des gens est le droit qui s'applique aux relations entre les sociétés humaines. Les hommes des Lumières sont tous d'accord pour définir le droit des gens par opposition au droit civil ou droit particulier.
Kant est celui qui sans doute s'est le plus attaché à réfléchir sur ces sujets. D'abord en 1784, dans Une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique, puis en 1793 nourrit des expériences historiques révolutionnaires il revient sur ces questions de droit international cosmopolitique dans son œuvre Théorie et Pratique. Le Projet de paix perpétuelle en 1795 couronne cette réflexion et constitue une véritable synthèse du débat philosophique des Lumières sur les relations entre les peuples à la lumière de l'expérience révolutionnaire immédiate. Kant entend consigner par écrit les articles définitifs qui rendent possible les conditions juridiques grâce auxquelles toute guerre deviendra impossible. Il prend soin de se démarquer des accusations « d'utopisme ». La paix perpétuelle est considérée comme une perspective pratique. Le texte se compose de six « articles préliminaires » contenant les conditions politiques de la réalisation de la paix perpétuelle, de « trois articles définitifs » et de deux « suppléments ». La forme adoptée par Kant est une parodie des textes diplomatiques de son temps. L'inévitable article secret ne fait pas défaut, mais son contenu est volontairement ironique : il définit justement la transparence nécessaire aux relations entre les peuples !
Dans ce cadre, nous tenterons de percevoir comment les hommes du XVIIIème siècle pensaient les rapports entre les peuples. Des groupes de penseurs s'opposent sur la définition du droit des gens. Une partie sera par conséquent consacrée aux multiples approches du droit des gens durant la période. Mais encore, elle abordera la notion fondamentale d'universalité du genre humain. Il faut bien concevoir que la philosophie du droit naturel concevait l'existence humaine sur trois plans dont la réalisation conjointe était nécessaire à la liberté. Sur le plan personnel, l'être humain possède des droits civils et politiques lui permettant de développer ses facultés et ses pouvoirs privés et publics comme personne et comme citoyen. En tant que membre du souverain, il participe à l'élaboration des lois auxquelles il consent de se soumettre. Son appartenance au genre humain lui confère une existence que la théorie de l'Etat nation n'est plus capable de prendre en compte ; sa dimension cosmopolitique en tant qu'homme privé, capable de sentir que tout ce qui est humain le concerne, et en tant que citoyen de la grande famille humaine ayant des devoirs, ceux de la réciprocité du droit, vis-à-vis des peuples et des gens. En fait, le XVIIIème siècle renoue avec la tradition humaniste, portée surtout par les théologiens de Salamanque, tels Vitoria et Suarez. Ces derniers élaborent, avec l'expérience de la colonisation de l'Amérique, une conception de la société humaine qui rompt avec l'idée de communauté chrétienne. Vitoria développe la notion de société universelle, fondée sur l'idée d'universalité du genre humain régie par le droit naturel. Le bien commun est la finalité des sociétés humaines. Le genre humain forme une communauté mondiale qui possède l'autorité exécutive et législative sur les choses qui relèvent du droit des gens. Ces idées sont très bien illustrées par John Locke par exemple, lorsqu'il affirme que « Dieu a fait don de la terre aux enfants des hommes » et qu'« il l'a donné en commun à l'humanité ».
Cette partie sera précédée d'un récapitulatif à la fois du contexte historique et des grandes théories de la nature des relations entre les peuples. Des penseurs de l'école de Salamanque jusqu'à Kant, la réflexion autour de l'état de nature dans les relations entre les états et donc entre les peuples fait débat en s'appuyant sur de nombreuses expériences historiques. L'expérience historique des politiques de puissance des Etats européens, vont permettre une réflexion politique et philosophique sur les questions du droit lié à la guerre aux conquêtes et à la paix. Le commerce qui jusqu'au 16ème siècle souffrait peu de contestation va lui aussi subir une violente critique dès lors qu'il apparaît directement lié aux guerres et aux conquêtes et qu'il révèle l'existence d'un cosmopolitisme marchand peuplé d'hommes aux mœurs cyniques, qui agissent par égoïsme et cupidité.
Enfin dans une dernière partie, en s'appuyant essentiellement sur le texte de Kant de 1795 nous tenterons de montrer comment ce dernier envisage t-il la fraternité universelle et la société civile des nations dans une perspective politique pratique, en cessant d'être une simple idée consolante, voire utopique. Comment en d'autre terme parvenir à la réalisation du droit cosmopolitique qui sous entend la constitution conjointe de la Polis et de La Cosmopolis ? Comment s'élabore le passage pratique de l'Etat de guerre entre les peuples à la paix perpétuelle fondée en droit ?
[...] Parallèlement, les Etats doivent établir entre eux des relations pacifiques durables au moyen d'un droit des gens cosmopolitique. Aussi, ils doivent accepter librement, par un accord volontaire, d'entrer dans une fédération de peuples Ainsi, ils constitueraient une alliance de paix et non un traité de paix. Dès lors, il s'agirait d'une fédération juridique minimale négative, respectueuse de la souveraineté de ses membres. Pour cela, Kant compte sur la volonté des hommes, qui peut être suppléée par le concept de Nature-Providence. [...]
[...] Les polémiques sur le droit de conquête traverse les siècles de Vitoria à jusqu'à Kant. Au 16ème la question s'applique surtout au droit de colonisation tandis qu'au 17ème le doit de conquête est au centre de la réflexion sur la constitution d'une société civile. Le 18ème voit l'approche se modifier : le droit de conquête se déplace de l'origine des sociétés à la nature des relations entre les états et celui des colonies. Si la conquête est illégitime comme fondement de la société civile, elle l'est également entre les peuples. [...]
[...] Comment concevoir un monde de paix ? Et par quels moyens concrets peut-on parvenir à mettre en place un droit cosmopolitique condition nécessaire à la paix perpétuelle ? III. La mise en pratique du cosmopolitisme Kant, en rédigeant en 1795 son Essai sur la paix perpétuelle, s'érige contre le concept de paix pratiqué depuis les temps anciens. En effet, en cette année de paix de Bâle mettant fin à la coalition européenne réactionnaire à la Révolution française, et en se posant en synthétiseur de toute une pensée débutée depuis l'Ecole de Salamanque de Vitoria, Emmanuel Kant propose une paix universelle et perpétuelle. [...]
[...] La politique de puissance n'échappe pas au crible de la raison. Grotius et Pufendorf vont l'objet de violentes critiques, ce n'est pas le droit naturel qui est critiqué, mais le système des deux théoriciens. Rousseau stigmatise par exemple la méthode qui cherche à établir le droit par les faits sans passer par la raison. Si la méthode des jusnaturalistes est critiquée, c'est plus encore leur doctrine de la souveraineté et du droit de conquête qui est rejetée comme attentatoire aux droits du peuple. [...]
[...] La simple coexistence des hommes est en soi une menace pour chacun, puisqu'elle échappe à tout système de lois. Tout homme peut dès lors considérer son voisin, à tout moment, comme un ennemi. Dans son premier article définitif, Kant débute par l'affirmation selon laquelle seule la constitution républicaine doit être instituée. Elle est la seule compatible dans la mesure où elle garantit les trois principes fondamentaux de tout système de droit, à savoir la liberté, la dépendance et l'égalité. La liberté doit être comprise ici au sens d'autorisation de n'obéir à aucune autre loi extérieure que celles auxquelles on a pu donner son assentiment, son consentement. [...]
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