En vertu des règles du droit international privé français et conformément aux dispositions de la Convention Franco-marocaine du 10 août 1981, le droit musulman est appelé, en tant que loi nationale de la personne, à régir le statut familial des immigrés marocains en France. Mais force est de constater toutefois que dans les faits, le principe retenu aboutit à une application bien tempérée, très limitée, du statut musulman sur le territoire français.
La réception du droit familial marocain, droit du reste, musulman ou en tout cas, d'inspiration musulmane, par l'ordre juridique français se heurte en effet à de nombreux obstacles.
Or, comme le souligne le professeur Jean Deprez « Outre les difficultés habituelles provoquées par l'irruption de toute loi étrangère dans le système juridique du for, la réception du statut musulman rencontre des obstacles spécifiques tenant au contenu même de ce droit, aux valeurs qu'il véhicule, et à la présence en son sein de règles ou d'institutions totalement incompatibles avec celles du droit français. Polygamie et répudiation, inégalité dans les rapports entre époux et survivance du patriarcat, conditions de religion en matière de succession, de mariage, de garde d'enfant, refus de la paternité naturelle et de l'adoption ».
« le fossé culturel, selon le professeur Deprez, est ici tel qu'il ne peut que susciter d'inévitables réactions de rejet ou, pour le moins, rendre plus difficile et moins complète la réception du statut étranger ».
Dans un tel contexte, il est permis de se demander si l'adoption par le Maroc d'un nouveau Code de la famille le 5 février 2004, inscrit le pays dans le temps de la modernité et de l'ouverture sur les valeurs dites universelles? Comment sera-il perçu et reçu? Quelles seront à long terme ses répercussions?
Plaçant la promotion des droits de l'Homme au centre du projet sociétal démocratique et moderne, le nouveau code marocain change tant en fond qu'en appellation, de « Code de Statut personnel », on est passé à un « Code de la famille » ; très significatif puisque le nouveau Code se propose de faire de la famille marocaine, reposant sur la responsabilité partagée, l'affection mutuelle, l'égalité, la justice, les bons rapports de la vie commune et la saine éducation des enfants, un pilier de la démocratisation de la société.
La réalisation de cet objectif suprême, a été confiée à une Commission Royale Consultative, chargée de faire une révision substantielle du Code du Statut Personnel dans le strict respect de la chariâa et des desseins tolérants de l'Islam, tout en l'incitant à l'effort jurisprudentiel (l'Ijtihad) pour la déduction des prescriptions légales, et en se guidant des exigences de l'esprit de l'époque et de l'évolution et dans le respect du Royaume pour les droits de l'Homme tels qu'ils sont universellement reconnus, c'est dire que : «Le triomphe de la raison est possible, sans nécessairement renoncer à sa foi » .
Il faut dire par ailleurs et c'est une première au Maroc, que le nouveau Code a été soumis au vote du parlement, et fut voté à l'unanimité des deux Chambres le 5 février 2004.
Dans son discours du 10 octobre 2003 lors de la session inaugurale parlementaire, le Roi Mohammed VI, tout en annonçant le projet de réforme de l'ancien « Code de statut personnel » de 1957, affirma que : « Ces réformes… ne doivent pas être perçues comme une victoire d'un camp sur un autre, mais plutôt comme des acquis au bénéficie de tous les Marocains (...). Le Code ne devrait pas être considéré comme une loi édictée à l'intention exclusive de la femme, mais plutôt comme un dispositif destiné à toute la famille, père, mère et enfants. Il obéit au souci, à la fois, de lever l'iniquité qui pèse sur les femmes, de protéger les droits des enfants, et de préserver la dignité de l'homme ».
C'est donc en parcourant les grandes lignes de ces importantes réformes en particulier en matière de mariage (I) et de dissolution de celui-ci (II), que l'on tentera de répondre aux interrogations précitées et qui concernent notamment la réception du nouveau Code marocain de la famille par l'ordre juridique français tenant compte des dispositions qui y sont en vigueur à l'heure actuelle.
[...] Le nouveau code de la famille modifie sensiblement les règles relatives à la filiation. En effet, l'article 156 du nouveau code de la famille prévoit que désormais l'enfant conçu pendant la période des fiançailles est rattaché au fiancé en tant qu'enfant légitime. Il en résulte qu'en matière de filiation, les fiançailles produisent les mêmes effets que le mariage si bien que la juge n'aura plus à rechercher, pour légitimer l'enfant, si celui ci a été conçu pendant la période légale. [...]
[...] Cette évolution s'est néanmoins arrêtée là puisque le nouveau code de la famille refuse encore de reconnaître la filiation adoptive. Le maintien des lois prohibitives en matière d'adoption. L'adoption est une institution polymorphe en ce sens qu'étant une pure création de la loi, elle est organisée d'une manière différente d'un pays à l'autre. Alors que le droit français assimile l'enfant adoptif à l'enfant légitime, le droit marocain a toujours refusé de reconnaître des effets juridiques à l'adoption (puisque il prévoyait à son ancien article 83-3 du code du statut personnel que l'adoption n'a aucune valeur juridique et n'entraîne aucun effet de filiation). [...]
[...] Antérieurement à la Moudawanna, le mari avait un pouvoir discrétionnaire pour répudier son épouse en toute liberté. En effet, aucun cadre légal précis n'existait, ce qui bafouait les droits des femmes répudiées. Actuellement, la nouvelle Moudawanna du 5 février 2004 introduit un principe d'égalité des époux mais préserve la répudiation comme un mode essentiel de dissolution du mariage car fondée sur la coutume. En effet, le roi Mohammed VI a montré son opposition à la disparition de ce principe ancestral mais compte cependant diminuer le droit de répudiation et imposer à la place le divorce juridique. [...]
[...] 1ère civ avril 1953, Rivière, RCDIP 1953, p 413. Cass. 1ère civ janvier 1958, Chémouni, RCDIP 1958, p 110. Cass. 1ère civ janvier 1980, Bendeddouche, RCDIP 1980, p 331. Cass. 1ère civ février1982, Baaziz, RCDIP 1983, p 275. [...]
[...] Ce qu'on peut retenir donc suite à tous les développements précédents, c'est que les réformes du nouveau Code de la famille marocain, constituent véritablement un saut quantitatif pour la protection des droits de la famille marocaine. Or, de telles réformes laissent à croire qu'elles ne peuvent qu'être bien reçues par l'ordre juridique français. Ce sont-là du reste, des questions parmi d'autres, qui opposent fondamentalement les deux systèmes juridiques. Les rédacteurs de la Convention franco-marocaine de 1981, n'ont-ils pas ainsi, intentionnellement, évité de résoudre des problèmes sur lesquels ils ne se seraient jamais mis d'accord. [...]
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