Devenue aujourd'hui un combat d'intérêt supérieur pour la communauté internationale, la lutte contre la délinquance financière est plus que jamais au cœur de l'actualité.
A l'origine, elle visait essentiellement le blanchiment des capitaux illicites qui, selon le Fonds monétaire international (FMI) représenterait entre 2,5 et 5 % du PIB mondial par an , soit entre $ 1000 et 1500 milliards . Les sommes considérables en jeu appelaient alors une réaction nécessaire des Etats et de la communauté internationale.
Traduit de l'américain « money laundering », on peut définir le blanchiment comme « l'opération consistant à donner une apparence licite à un bien d'origine illicite, qu'il soit corporel ou incorporel, par des opérations de transfert ou de conversion de ce bien auprès d'institutions financières ou de crédit. Le blanchiment peut être le fait soit de l'auteur de l'infraction principale qui lui a permis de se procurer ce bien, soit d'un complice de l'auteur, soit d'une personne qui n'a pris aucune part dans l'infraction principale mais qui apporte en connaissance de cause son concours à la conversion ou au transfert du bien pour en cacher l'origine illicite » .
Cette définition nous montre que le blanchiment peut être une infraction de conséquence et/ou un délit d'intermédiaire intentionnel et qu'il a pour objectif primordial de retraiter des produits d'origine criminelle pour en masquer l'origine illégale.
Le blanchiment comprend toujours en pratique trois étapes avec le placement, qui consiste à se démunir matériellement des capitaux d'origine illicite en les introduisant dans le secteur financier, ensuite l'empilage visant à masquer la source des capitaux et enfin l'intégration permettant de donner une apparence licite à l'argent sale pour pouvoir investir les fonds dans l'économie légale.
Le blanchiment a pris une envergure considérable à partir des années 70, quand les trafics de drogue ont procuré des ressources de plus en plus conséquentes aux organisations criminelles. C'est depuis cette époque que le blanchiment constitue un phénomène transfrontalier de la criminalité organisée, conçu sur le modèle d'une véritable industrie à l'échelle mondiale, utilisant un ensemble de compétences intervenant d'un bout à l'autre de la chaine de recyclage (passeurs, avocats d'affaires et hommes politiques par exemple). La prise en compte de cette problématique et de la réponse qu'elle appelle de la part des sujets de droit international remontent aux années 90.
Face aux conséquences réelles et potentielles du blanchiment, seule une action coordonnée au niveau mondial par les Etats et organisations internationales peut permettre de lutter efficacement contre la capacité de nuisance grandissante des organisations criminelles. De fait, les conséquences néfastes du blanchiment mettent en péril la stabilité financière, les mouvements incontrôlés de capitaux accentuent l'instabilité des flux internationaux de capitaux et des cours de change. De plus, il génère des distorsions évidentes de concurrence entre les différents secteurs de l'économie, avec un attrait particulier du secteur de l'immobilier pour les investissements d'argent recyclé.
C'est à partir de cette époque que les premiers instruments internationaux ont été adoptés et des normes internationales (sans valeur contraignante) édictées dans cette optique de lutte concertée contre le blanchiment des capitaux illicites. A titre d'exemple, les conventions des Nations Unies contre le trafic de stupéfiants de 1988 (dite convention de Vienne), qui érige en infraction pénale le blanchiment des capitaux issus du trafic de stupéfiants, et contre la criminalité transnationale organisée du 15 Novembre 2000 (dite convention de Palerme), instaurant une coopération dans la lutte contre le crime international et le blanchiment d'argent sale, reflètent la conscience de la nécessité d'une action internationale coordonnée et concertée.
En effet, cette action coordonnée est gage d'effectivité, tant les moyens financiers nécessaires sont importants pour lutter contre ce phénomène évolutif du blanchiment, se caractérisant par l'imagination et l'ingéniosité de ses auteurs constamment à la recherche de nouvelles techniques .
La lutte contre le blanchiment des capitaux s'est donc progressivement complexifiée face à son contexte évolutif, les moyens et méthodes de blanchiment se modifiant sans cesse en fonction des progrès technologiques et des représailles déployées pour les combattre. On comprend sans mal alors que « les détenteurs de capitaux illicites ont un savoir faire de haut niveau et une capacité d'innovation remarquable » .
Mais cette évolution ne s'est pas limitée aux techniques utilisées par les blanchisseurs, puisque la lutte contre le blanchiment des capitaux s'est ensuite doublée de celle contre le financement du terrorisme après les attentats du 11 Septembre 2001. Le terrorisme international est alors entré dans une nouvelle dimension, d'où l'importance de son financement, dont le blanchiment de capitaux constitue un de ses fondements structurels. Ainsi, si seul le blanchiment des produits du trafic de stupéfiants était pénalement répréhensible, les incriminations ont été élargies à l'argent provenant des activités criminelles (jeux illégaux, contrebande, prostitution, trafic d'armes, corruption, fraude informatique et d'autres encore) et surtout au financement du terrorisme par la suite.
On peut définir le financement du terrorisme comme « le fait de fournir ou de collecter des fonds, directement ou indirectement, illicitement et intentionnellement, en vue de les utiliser ou en sachant qu'ils seront utilisés pour commettre tout acte relevant du champ d'application des conventions susmentionnées (i.e. les infractions terroristes) constitue une infraction » .
Il est apparu clairement que le terrorisme international se finançait de plus en plus selon une logique privatisée. En effet, selon le GAFI, « les Etats étant désormais plus réticents à soutenir directement le terrorisme, les groupes terroristes ont dû se tourner vers les activités criminelles pour trouver les fonds nécessaires à leur financement » . Le financement du terrorisme international s'effectue alors pour une large part au travers de la criminalité transnationale organisée . Les experts du GAFI ont d'ailleurs constaté que si les finalités divergent entre blanchiment et financement du terrorisme (les blanchisseurs ont des objectifs financiers alors que les terroristes ont des objectifs idéologiques), les méthodes sont essentiellement similaires quand elles visent à blanchir des fonds d'origine criminelle ; les canaux sont les mêmes pour les blanchisseurs et les financiers du terrorisme. De fait, il apparait selon le GAFI que « les mouvements de fonds clandestins en espèces (par des passeurs ou des envois massifs d'espèces), les dépôts ou les retraits fractionnés (…), les achats de diverses catégories d'instruments monétaires (…), l'utilisation de cartes de crédit ou de débit, et les virements (…) certaines formes d'activités bancaires souterraines (…) jouent un rôle dans le transfert des fonds à des fins terroristes » .
La stratégie mondiale de lutte contre la délinquance financière a donc été modifiée et élargie depuis 2001 pour prendre acte des liens étroits entre blanchiment et financement du terrorisme. Les évènements précités ayant conforté l'idée selon laquelle le terrorisme international ne pouvait être combattu efficacement qu'en limitant, voire éliminant les ressources financières à la disposition des groupes terroristes. On combat alors le terrorisme en s'attaquant à ses sources de financement. C'est dans cette démarche que l'Assemblée général et le Conseil de sécurité de l'ONU ont adopté des résolutions demandant aux Etats de geler et confisquer les fonds et les biens qui alimentent le terrorisme .
Pour lutter efficacement contre la délinquance financière, blanchiment et financement du terrorisme, il faut donc une stratégie internationale reposant sur la participation active des institutions internationales, des Etats et organisations régionales comme l'Union européenne ainsi que des acteurs du système financier comme les banques. Les Etats les plus en avant dans ce combat ont alors élaboré des conventions et instauré des organismes internationaux spécialisés, tels le GAFI, pour coordonner et organiser l'application des normes en la matière.
S'il est évident que l'ONU a joué un rôle dès le début dans la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, il est une autre organisation internationale plus spécialisée à ne pas négliger en ce domaine, c'est le Groupe d'Action Financière internationale, dit GAFI (« Financial Action Task Force »), crée en 1989, à l'initiative du G 7, au sommet de l'Arche à Paris. Cette organisation comprend 33 membres, dont la Commission européenne. La vocation première du GAFI était de lutter contre le blanchiment des capitaux, dont l'illustration la plus parfaite correspond aux Quarante Recommandations publiées en 1990. Ayant acquis une expérience considérable en ce domaine, son mandat a été élargi en 2001 à la lutte contre le financement du terrorisme pour les raisons susmentionnées, et dont le résultat immédiat a été la rédaction des Recommandations Spéciales (RS) , la même année, pour compléter ses normes au regard de sa nouvelle mission, définissant ainsi un cadre d'action idéal sur les aspects spécifiques de la lutte contre le financement du terrorisme.
Son objectif est donc de concevoir et de promouvoir à l'échelle internationale et nationale des stratégies de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Il s'efforce de susciter la volonté politique des Etats pour réformer au plan national les instruments normatifs relevant de sa compétence. Le GAFI surveille les progrès réalisés par ses membres dans la mise en œuvre des mesures nécessaires et examine les techniques et contre-mesures relatives au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme. Son mandat actuel court jusqu'en 2012 , il devra être reconduit par la suite.
L'ensemble constitué par les recommandations relatives au blanchiment et au financement du terrorisme ne repose sur aucun traité et n'a pas de force contraignante en soi mais représente la référence mondiale en la matière. En effet, ces recommandations ont été avalisées par plus de 175 juridictions nationales et bénéficient d'une portée politique et déclarative non négligeable, puisque les membres du GAFI s'engagent à les transposer.
Mais l'importance de ces normes et leur signification réside dans leur destination, à savoir les systèmes de droit interne des pays membres. Leur but est d'être transposées afin qu'elles puissent être revêtues de la force contraignante nécessaire à leur effectivité.
Car c'est bien la problématique qui nous intéresse, savoir comment un ensemble de recommandations de Soft Law acquiert force normative en devenant de la Hard Law.
L'effectivité de telles normes est bien conditionnée par la volonté des Etats de les transposer dans leur ordre juridique interne, et cette question principale apparait cruciale quand on sait que la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme est aujourd'hui tributaire de la volonté des Etats et des organisations régionales de bien vouloir les intégrer à leur droit positif.
Qu'en est-il alors de l'Union européenne et plus précisément de la Communauté européenne ?
Il est évident qu'un espace régional intégré et communautarisé comme cette dernière apparaît comme un cadre de destination privilégié des normes du GAFI. Comment peut-on alors envisager la pertinence et l'effectivité des normes du GAFI en dehors de leur intégration aux systèmes juridiques nationaux et plus précisément à l'ordre juridique communautaire ?
Car c'est la question qui nous intéresse, si une politique de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme a été entreprise par l'Union européenne en accord avec les dites recommandations, il n'en reste pas moins que ce sont les Etats les derniers maillons de la chaine pour leur mise en œuvre. A cet effet, la réflexion portera sur l'application des normes du GAFI dans le premier pilier, incarnant l'intégration supranationale de la Communauté. Globalement régi par le Traité sur la Communauté européenne (TCE), ce premier pilier propre au droit communautaire constituera le cadre de notre analyse, tant il résulte de la conception de l'Union que les instruments juridiques (règlements et directives surtout) relatifs à ce pilier sont plus efficaces.
Nous évacuons alors du champ de l'analyse le troisième pilier intergouvernemental « Justice et affaire intérieures » qui a d'ailleurs trait davantage à la répression qu'à la prévention, chère au premier pilier. Toutefois, il est évident que, dans ce domaine précis de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, de nombreuses mesures peuvent revêtir à la fois un aspect préventif et répressif, telles les mesures de gel des fonds et avoirs terroristes par exemple.
La Communauté européenne a joué un rôle de premier plan dès les premières heures de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, la Commission européenne en tant que membre plein du GAFI illustre cette démarche car elle est à l'origine de la mise en place d'un dispositif anti-blanchiment en parfait accord avec les recommandations du GAFI, notamment au travers de trois directives conséquentes. Les mesures qui ont été préconisées par la Commission et adoptées par la Communauté ont constitué un ensemble à l'avant-garde des standards internationaux en matière de lutte anti blanchiment et ont même parfois inspiré les travaux du GAFI sur certains points .
Il est évident qu'il existe des relations d'influence entre le GAFI et la Communauté, l'un inspirant l'autre sur certaines questions et inversement. Toutefois, il semble depuis la révision des recommandations du GAFI en 2003, intégrant aux Quarante recommandations certaines des dispositions relatives aux RS, formant ainsi un ensemble cohérent et global de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, que la Communauté ait eu à adapter plus en avant son dispositif législatif communautaire aux nouvelles normes du GAFI .
C'est pourquoi il nous semble opportun d'opérer une césure temporelle en 2003, divisant alors notre cadre d'analyse en deux périodes, correspondant à deux temps dans l'adaptation du système communautaire aux normes du GAFI.
Il sera donc fait état en premier lieu, sur la période 1991-2003, d'une situation où l'ordre juridique communautaire apparaît à la pointe dans l'adaptation sectorielle aux normes du GAFI (chapitre I), à la suite de quoi nous constaterons les ambiguïtés posées en droit communautaire, par une approche globale et intégrée de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme imposée par la GAFI (chapitre II).
[...] CHAPPEZ J. La lutte internationale contre le blanchiment des capitaux d'origine illicite et le financement du terrorisme. Annuaire français de droit international p. 542-562. BANIFATEMI Y. La lutte contre le financement du terrorisme international. Annuaire français de droit international p. [...]
[...] En conséquence, des dispositions législatives devraient protéger les institutions financières et leurs employés contre toute responsabilité, pénale ou civile, pour violation des règles de confidentialité - qu'elles soient imposées par contrat ou par toute disposition législative, réglementaire ou administrative - si ces institutions financières ont fait cette déclaration de bonne foi, même si elles ne savaient pas précisément quelle était l'activité criminelle en question, et même si l'activité illégale soupçonnée n'est pas réellement intervenue GAFI recommandation 2 : Les lois sur le secret professionnel des institutions financières devraient être conçues de telle façon qu'elles n'entravent pas la mise en œuvre des recommandations du Groupe GAFI recommandation 9 : Les recommandations no 12 à 29 de ce rapport devraient s'appliquer non seulement aux banques mais également aux institutions financières non bancaires JOCE L décembre 2001. Considérant 10 de la directive 2001/97/CE. Article 1 de la directive 2001/97/CE. Article 1 2 de la directive 2001/97/CE. Voir le considérant 15 de la directive 2001/97/CE. [...]
[...] II) Articles de revues scientifiques Sur les aspects internationaux du blanchiment et du financement du terrorisme : MALABAT V. Les aspects internationaux du blanchiment. Revue de droit bancaire p. 41-46. DUPUIS-DANON M.C. la lutte contre la finance criminelle : financement du terrorisme et blanchiment d'argent sale. Revue de Géoéconomie, Institut Choiseul, Décembre 2004. [...]
[...] La question n'est peut-être pas à envisager sous cet angle puisque, selon les recommandations du GAFI l'approche peut être basée sur le risque, mais l'exemple français est révélateur des tensions entre ces considérations parfois antagonistes, puisqu'il ne fait pas usage de la possibilité de dérogation à l'obligation de déclaration pour les avocats offerte par les recommandations du GAFI. Qu'en est-il également des questions soulevées quant à la compatibilité des obligations mises en place avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme ? [...]
[...] Au regard du premier volet, l'article 3 1 du règlement, impose aux personnes physiques (les passeurs de la RS l'obligation de déclarer les sommes transportées à partir de lorsqu'elles entrent ou sortent de la Communauté. L'obligation de déclaration est largement contraignante puisqu'il est prévu qu'elle doive mentionner entre autres le montant, la nature des liquidités, le destinataire, la provenance ainsi que l'usage prévu. Concernant le deuxième volet, les articles 5 et 6 du règlement prévoient respectivement la transmission des informations recueillies aux autorités compétentes de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, ainsi que la possibilité d'échanger lesdites informations avec les autorités susmentionnées d'autres Etats membres. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture