Le 14 février 2001, le requérant, avocat chypriote, défend un homme accusé de meurtre devant la cour d'assises de Limassol. Il est interrompu par la cour alors qu'il conduit le contre-interrogatoire d'un témoin à charge, et il lui est signalé que son interrogatoire est trop détaillé par rapport au stade d'avancement du procès. S'estimant insulté, le requérant refuse de reprendre, accusant les membres de la cour de s'être montrés inattentifs durant son intervention et de s'être fait passer des “billets doux” (ravassakia - le terme est ambigu mais ne désigne jamais rien de plaisant) entre eux. La cour réfute cette accusation, prétendant qu'il s'agissait d'échanges de vues écrits, et menace le requérant d'une sanction pour outrage à la cour (“contempt of court”). Celui-ci refuse de rétracter ses propos.
Le requérant engage alors un recours devant la Cour européenne des Droits de l'Homme (Cour EDH) le 9 août 2001. L'affaire est jugée par sa deuxième section le 27 janvier 2004, qui admet la violation des articles 6§1, 6§2, et 6§3 de la Convention mais refuse d'examiner séparément la violation de l'article 10. En vertu de l'article 43 de la CEDH, l'affaire est renvoyée devant la Grande Chambre, qui rend son arrêt le 15 décembre 2005.
Comment tracer la limite entre le respect de la dignité des juges nécessaire à une justice crédible et efficace, et la protection de la liberté d'expression nécessaire à un avocat pour défendre au mieux les intérêts de son client ?
[...] Les conditions de la légalité de la restriction (la condamnation et la peine étaient prévues par la loi) et de la légitimité du but poursuivi par celle-ci (garantir l'autorité du pouvoir judiciaire) sont tout de suite écartées, jugées remplies. Ce qui pose problème est le caractère nécessaire de l'ingérence “dans une société démocratique”. Elle doit répondre à un “besoin social impérieux” et y être proportionnée. Pour en juger, la Cour se base sur les faits, l'équité et les garanties offertes par la procédure, et enfin sur la nature et la lourdeur de la peine infligée. [...]
[...] Or les justiciables doivent aussi avoir confiance en la capacité de leurs avocats de les défendre efficacement. L'“effet dissuasif” éventuel est donc à prendre en compte pour ménager un juste équilibre entre honneur des tribunaux et efficacité des avocats. Une peine de cinq jours d'emprisonnement, en particulier appliquée immédiatement, est sévère. Tenant compte de la qualité d'avocat du requérant et de l'existence d'autres sanctions possibles, la Cour considère la sanction comme disproportionnée et potentiellement préjudiciable aux garanties d'un procès équitable pour tous les justiciables. [...]
[...] La CEDH avait déjà tenu compte à la fois du droit du public d'être informé du fonctionnement du pouvoir judiciaire, des impératifs d'une bonne administration de la justice et de la dignité de la profession d'homme de loi. Elle affirmait aussi le contrôle européen sur la marge d'appréciation nationale en la matière à partir de la notion de “besoin social impérieux” et de la proportion de la sanction. La Cour relevait aussi que, dans certaines circonstances, une atteinte à la liberté d'expression de l'avocat dans le cadre d'un procès peut soulever une question sur le terrain de l'article 6 de la Convention relativement au droit de tout accusé à un procès équitable. [...]
[...] Le requérant engage alors un recours devant la Cour européenne des Droits de l'Homme (Cour EDH) le 9 août 2001. L'affaire est jugée par sa deuxième section le 27 janvier 2004, qui admet la violation des articles et de la Convention, mais refuse d'examiner séparément la violation de l'article 10. En vertu de l'article 43 de la CEDH, l'affaire est renvoyée devant la Grande Chambre, qui rend son arrêt le 15 décembre 2005. Moyens Le requérant soulève de nouveau la violation des articles au titre de l'impartialité (puisque la peine a été prononcée par le tribunal qu'il avait offensé) ; posant le principe de la présomption d'innocence ; et car il n'aurait pas été informé de façon détaillée des accusations portées contre lui. [...]
[...] Ils relève qu'en l'espèce, la réaction du requérant a privé son client de représentation effective et a interrompu la procédure, ce qui s'est fait au détriment de ce dernier. Cependant, à l'étude de la jurisprudence de la Cour EDH, on voit mal comment réunir les critères demandés pour justifier du “contempt of court”. Justifier d'un “besoin social impérieux” pour punir les propos d'un avocat paraît impossible et nous n'avons vu aucun cas où la Cour l'ait admis à ce jour. La liberté d'expression de l'avocat n'est peut-être donc pas illimitée, mais elle n'en semble pas très loin . [...]
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