Le contentieux de la reconduite à la frontière ne cesse de croître depuis 1998 : il a même triplé.
L'arrêt que nous commentons en est une illustration.
M Aggoun, d'origine Algérienne s'est vu informé le 27 septembre 2001 du refus par le préfet des Hautes Alpes d'un titre de séjour et de l'obligation pour lui de quitter le territoire français.
M Aggoun décide alors de se maintenir sur le territoire malgré cette décision : le préfet des Hautes Alpes ordonne alors sa reconduite à la frontière par un arrêté du 4 décembre 2001 en application de l'ordonnance du 2 novembre 1945 qui autorise le préfet de département à décider, par arrêté motivé, la reconduite à la frontière d'un étranger dans l'hypothèse où ce dernier s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour et qui se serait maintenu sur le territoire pendant un mois à compter de la notification du refus.
Le requérant saisit alors le tribunal administratif de Marseille afin d'obtenir l'annulation de cet arrêté de reconduite à la frontière mais il se voit débouté de sa demande.
Il décide alors de saisir le Conseil d'Etat, ici compétent en appel car il s'agit d'un contentieux relatif à un arrêté de reconduite à la frontière.
Le Conseil d'Etat se réunit alors le 5 mars 2003 en Assemblée, formation solennelle de cette juridiction, afin de répondre à la demande de M Aggoun.
Ce dernier soulève divers moyens à l'appui de sa requête dont deux seulement nous sont fournis.
Dans un premier moyen, le requérant conteste la légalité de l'arrêté de reconduite à la frontière : le Conseil d'Etat écarte très brièvement ce moyen au motif que les faits justifient en l'espèce l'application de l'ordonnance du 2 novembre 1945 permettant au préfet de prendre un tel arrêté en cas de maintien sur le territoire d'un étranger qui s'est vu refuser un titre de séjour.
Dans un second moyen, lequel sera développé dans ce commentaire, le requérant soutient que l'accord franco algérien et ses deux avenants de 1985 et 1994 n'ont pas été approuvés par une loi d'autorisation de ratification laquelle est exigée en vertu des articles 53 et 55 de la Constitution. Il en déduit alors que le préfet ne pouvait lui refuser un titre de séjour en se fondant sur l'article 9 de l'accord franco algérien du 27 décembre 1968 dans sa rédaction issue d'un avenant du 28 septembre 1994 selon lequel la délivrance d'un certificat de résident à un ressortissant algérien est subordonnée à la présentation d'un passeport en cours de validité et d'un visa de long séjour.
M Aggoun invoque donc par voie d'exception (c'est-à-dire qu'il conteste une décision en invoquant l'illégalité de sa base légale) l'illégalité du refus du préfet comme étant fondé sur une disposition illégale.
Le Conseil d'Etat est donc face au problème suivant : est-il compétent pour contrôler par voie d'exception la régularité des procédures de ratification d'un traité international ?
En répondant par l'affirmative, le Conseil d'Etat, dans cette affaire, apporte alors une confirmation à l'évolution jurisprudentielle amorcée par l'arrêt du Conseil d'Etat Sarl du parc d'activité de Blotzheim de 1998 (I) sans néanmoins se contenter d'une simple répétition des arrêts précédents puisqu'il élargit la recevabilité des requêtes en la limitant par la même (II).
[...] Les limites à la recevabilité du recours admises par l'arrêt Aggoun L'arrêt Aggoun ne fait pas référence à l'hypothèse de la loi écran. Cette hypothèse empêche tout contrôle du juge sur les actes relatifs à la ratification du traité. Le principe selon lequel la loi fait écran a été posé par l'arrêt commune de Porta : si à l'occasion d'un recours contre le décret de publication d'un traité le requérant met en cause une irrégularité des procédures de ratification ou d'approbation, motif pris de l'inconstitutionnalité de la loi les autorisant, le recours ne peut être que rejeté car la loi forme un écran infranchissable. [...]
[...] Or en l'espèce, le caractère réglementaire n'est pas évident : si on définit un acte réglementaire comme un acte administratif édictant une norme à portée générale et impersonnelle, ici, M Stahl, commissaire du gouvernement dans cette affaire, n'y voyait pas un acte réglementaire. En effet, il défend l'idée selon laquelle le décret de publication d'un traité n'édicte aucune règle et que son objet se limite à assurer la publication au Journal Officiel du traité. Mais, le Conseil d'Etat en admettant le recours par voie d'exception, admis indirectement le caractère réglementaire du décret. [...]
[...] En somme, le juge administratif est donc resté très réticent à tout contrôle jusqu'en 1998, date du revirement de jurisprudence. Cette réticence a fait l'objet d'avis divergents au sein de la doctrine car pour certains, tels que Dubouis, elle était souhaitable en ce sens qu'elle favorisait l'applicabilité des traités internationaux dans l'ordre interne dès lors qu'ils étaient valables au regard de l'ordre international. Pour d'autres, le justiciable pouvait se retrouver sans certaines hypothèses face à une impossibilité de former un recours contentieux. [...]
[...] Le Conseil d'Etat admet alors qu'en autorisant le dernier avenant, le législateur a implicitement autorisé les avenants précédents et l'accord franco algérien. De ce fait, si le raisonnement de M Aggoun est admis, il se trouve que le Conseil d'Etat considère qu'il y a bien eu autorisation législative de ratification et rejette donc sa demande. Si l'arrêt Aggoun constitue une réaffirmation de l'arrêt Sarl du parc d'activité de Blotzheim, il n'en demeure pas moins différent en ce sens qu'il apporte un élargissement à l'admission du contrôle du juge sur les actes relatifs à la ratification des traités en admettant la recevabilité du moyen non pas seulement par la voie du REP mais désormais aussi par la voie d'exception. [...]
[...] C'est ce qui est illustré par l'arrêt Villa du Conseil d'Etat de 1956. Ensuite, le Conseil d'Etat vérifiait que le traité international avait bien été publié car en effet, tout traité non publié était et est toujours inapplicable. Parallèlement à ce contrôle minimum, le juge refusait donc, depuis la jurisprudence Dame Caraco de 1926, de vérifier la régularité des actes relatifs à l'élaboration la signature et la ratification des traités ou accords internationaux. Cette solution avait été confirmée par plusieurs arrêts : citons par exemple l'arrêt Comptoirs français de l'Inde de 1954 ou l'arrêt André et Société des tissages Nicolas Caimant de 1961 où le Conseil d'Etat n'a pas voulu annuler l'autorisation parlementaire de ratification qui était pourtant inconstitutionnelle. [...]
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