L'oncle paternel de Mlle Cosette Isoba, mineure de 14 ans et de nationalité congolaise, a signé le 24 avril 2004 un « contrat de travail » pour un poste d'employé de maison avec M. Thénardier, de nationalité belge. Ledit contrat prévoit que le lieu d'exécution du travail se situe au domicile des époux Thénardier, au Congo (RDC). Mais il est également prévu que Cosette devra suivre les époux Thénardier dans leurs déplacements, notamment lorsqu'ils séjournent dans leur résidence secondaire à Paris. C'est lors du dernier séjour en France des époux Thénardier que Cosette, régulièrement battue et privée de nourriture, arrive à échapper à leur surveillance.
Recueillie par M. Bienvenu, Cosette souhaite désormais saisir le juge français pour obtenir un « rappel de salaires » de M. Thénardier : elle n'a en effet jamais été rémunérée.
Problème de droit : le juge français a-t-il compétence pour connaître d'un litige concernant un contrat conclu à l'étranger entre des personnes de nationalités étrangères ?
[...] En droit interne, l'esclavage moderne est incriminé par les articles 225-13 et 225-14 du Code pénal. La réglementation française en matière d'emploi des étrangers peut aussi être sollicitée pour sanctionner l'employeur esclavagiste (C. trav., art. L. 341- 2). Il faut enfin rappeler que le juge français est également le juge qui doit faire application de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme (CESDH) de 1950 ; or l'article 4 de cette convention assure la protection de l'individu contre l'esclavage et les servitudes. [...]
[...] La situation relève-t-elle du droit international privé ? Le contrat de travail présente un caractère international dès lors qu'il comporte un élément d'extranéité susceptible de le rattacher à plusieurs systèmes juridiques. En l'espèce des éléments d'extranéité sont en présence puisque les cocontractants sont de nationalité congolaise pour l'un (Cosette et son oncle), et belge pour l'autre (M. Thénardier). De plus, le contrat est exécuté au Congo, mais également parfois en France. Enfin, la question est ici posée au juge français. [...]
[...] De très nombreuses dispositions de droit interne comme international et communautaire sanctionnent l'exploitation par un employeur de son personnel domestique au point de le rendre esclave (Convention sur le travail forcé, adoptée par la conférence générale de l'OIT le 28 juin 1930, ratifiée par la France le 24 juin 1937. Convention relative à l'esclavage, signée à Genève, le 25 septembre 1926 et entrée en vigueur le 9 mars 1927. Convention CE sur la lutte contre la traite des êtres humains, ouverte à la signature le 16 mai 2005. CEDH, art. 4). [...]
[...] Mais ici encore, la loi du Congo semble être désignée par la convention comme étant le pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits. Mais le juge français, afin d'appliquer son droit interne, peut soulever l'article 16 de la convention ; celui-ci prévoit en effet que l'application d'une disposition de la loi désignée par la présente convention ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l'ordre public du for. Ici la question est de savoir si une loi étrangère qui admet l'esclavage est contraire à l'ordre public français. [...]
[...] Il appartient donc de vérifier en premier lieu l'existence d'une telle convention ou bien d'un règlement communautaire. De plus, la jurisprudence de la Cour de cassation avec son arrêt société Jacques Vabre du 24 janvier 1975 et celle du Conseil d'Etat, à travers un arrêt en date du 20 octobre 1989, Nicolo, précisent que le citoyen peut invoquer un règlement communautaire, même devant une juridiction ordinaire pour qu'une loi qui lui serait contraire puisse être écartée. Aucune convention internationale multilatérale ou bilatérale ne lie la France et le Congo RDC sur la question de la compétence des juges nationaux en matière de contrat de travail. [...]
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