Qu'en est-il en droit communautaire, sachant que l'ordre juridique qu'il institue présente une spécificité certaine par rapport aux autres ordres juridiques (interne et international) ? Au vu de cette spécificité, on peut légitimement s'attendre à ce que le droit communautaire adopte sa propre conception de l'ordre public.
Etant donné que l'ordre public comporte des significations diverses en droit communautaire, quelques précisions terminologiques s'imposent à ce stade, notamment au sujet de l'expression d' « ordre public communautaire » employée par la Cour de justice des Communautés européennes et la doctrine.
Sans entrer dans les détails, soulignons que l' « ordre public communautaire » ne doit pas être confondu avec l'ordre public qui fera l'objet de notre étude, en ce qu'il ne renvoie pas à proprement parler aux ordres publics des Etats membres . L'ordre public communautaire désigne en effet les règles impératives de l'ordre juridique communautaire qui ont vocation à évincer les normes nationales et à restreindre l'autonomie de la volonté. En l'état actuel du droit communautaire, cet ordre public est donc essentiellement de nature économique, ce qui n'exclut pas, malgré les résistances « souverainistes » des Etats membres, l'émergence future d'un « ordre public communautaire méta-économique ».
Pour l'heure, seul l'ordre public national des Etats membres permet de déroger aux libertés de circulation communautaires, dans le but de protéger, au sein de la Communauté, certains intérêts fondamentaux de nature non économique. Cette protection est assurée par le biais de l'exception d'ordre public consacrée, comme nous venons de le voir, dans plusieurs dispositions du Traité CE.
Un débat s'est élevé en doctrine au sujet de la nature de l'ordre public visé par ces dispositions. Deux thèses se sont opposées. Ainsi, G. Lyon-Caen, insistant sur le lien entre l'ordre public et la souveraineté étatique, soutenait qu'il ne pouvait s'agir que d'un ordre public de nature nationale , tandis que d'autres se prononçaient au contraire en faveur d'un ordre public de nature communautaire . Une approche médiane a finalement permis de concilier les deux thèses en présence, en consacrant la nature « mixte » de l'ordre public en question. Comme l'indique S. Poillot Peruzzetto, cet ordre public est bien national dans son inspiration, mais communautaire dans sa source et dans son application.
En effet, le droit communautaire, tout en consacrant l'exception d'ordre public national dans son ordre juridique, a entendu, dans le même temps, en encadrer l'application afin que les Etats membres n'en abusent pas.
En vertu de l'encadrement communautaire de l'exception d'ordre public, la Cour de justice des Communautés européennes est amenée à exercer un contrôle sur les mesures prises par les Etats membres pour restreindre les libertés de circulation communautaires au nom d'un intérêt fondamental de la société. Etant donnée la marge d'appréciation que laisse en principe l'ordre public national aux autorités étatiques, l'on aurait pu légitimement s'attendre à ce que la Cour n'opère qu'un contrôle minimum sur les mesures en cause. Tel ne fut pas le cas, et c'est au contraire vers un contrôle de plus en plus approfondi que s'oriente la Cour de justice des Communautés européennes, ramenant l'exception d'ordre public au même rang que n'importe quelle autre dérogation aux principes fondamentaux communautaires. En agissant de la sorte, la Cour tend à dénaturer l'ordre public national, tel que nous l'avons défini quelques lignes plus haut. Ainsi, au fil de la jurisprudence communautaire, l'on voit s'estomper les spécificités de cette notion, à tel point que l'on serait tenté de dire que via le contrôle de légalité communautaire, la Cour de justice est, en quelque sorte, devenue maîtresse de l'ordre public des Etats membres.
Nous tenterons de démontrer dans cette étude que, plus que d'une « nature mixte », il conviendrait aujourd'hui de parler d'une « nature communautarisée » de l'ordre public. Une telle « communautarisation » a pour corollaire l'atténuation (voire la disparition) de la dimension nationale de l'ordre public ayant vocation à restreindre les libertés de circulation communautaires.
L'étude va ainsi s'attacher à exposer ce mouvement de communautarisation, annoncé tout d'abord par la soumission de l'ordre public national à un régime d'application communautaire (Partie I), et affectant aujourd'hui le contenu même de l'ordre public national (Partie II).
[...] Quoi qu'il en soit, cette réserve de la Cour à l'égard des mesures d'ordre public va très vite céder la place à une plus grande rigueur. Interprétant l'article et de la directive 64/221, la Cour déclare en 1975, dans l'arrêt Bonsignore[102], que la notion de comportement personnel exige que la mesure d'expulsion soit justifiée par le seul comportement qui pourrait être le fait de l'individu en cause, ce qui exclut toute justification détachée du cas individuel. Etait ici en cause une mesure d'expulsion prise à l'encontre d'un ressortissant italien résidant en Allemagne. [...]
[...] Les droits fondamentaux, s'incorporant en quelque sorte dans le contrôle de légalité communautaire, ont alors vocation à limiter la possibilité des Etats membres de restreindre les libertés de circulation communautaires sur le fondement de leur ordre public. Mais les droits fondamentaux n'interviennent pas seulement, de manière négative, comme limite à la liberté des Etats d'invoquer leur ordre public ; ils peuvent aussi être avancés par les autorités étatiques pour justifier devant la Cour de justice des restrictions aux libertés de circulation communautaires. [...]
[...] Au regard de l'importance des libertés en cause dans l'ordre juridique communautaire, et de la grande marge de manœuvre qu'aurait pu laisser l'ordre public aux Etats membres pour y déroger[160], nous ne sommes guère surpris que la Cour de justice ait préféré la deuxième solution. Dans un souci de cohérence juridique, la Cour de justice des Communautés européennes a dû poser un critère de distinction entre les deux régimes, légal et jurisprudentiel, de justification des restrictions aux libertés communautaires. Ce critère résidait dans le caractère discriminatoire de la mesure nationale litigieuse. Ainsi, si la mesure était discriminatoire, et donc contraire au traité, elle ne pouvait se justifier que sur la base des dérogations expresses d'ordre public. [...]
[...] Les étudiants bénévoles ne travaillant pour le compte d'aucune de ces cliniques, la Cour estima que les dispositions communautaires sur la libre prestation de services n'avaient pas vocation à s'appliquer au cas d'espèce. H. Gaudemet-Tallon remarque à ce titre que dans l'hypothèse où le droit communautaire aurait trouvé à s'appliquer, la Cour de justice aurait très certainement été tentée d'examiner une éventuelle justification de la mesure litigieuse au regard des raisons impérieuses d'intérêt général Elle estime, pour sa part, que la position de l'Irlande sur la question de l'avortement est trop spécifique à cet Etat pour que l'on puisse parler de raisons impérieuses d'intérêt général En dehors de toute considération éthique, et d'un point de vue purement juridique, l'auteur en conclut que l'interdiction de l'interruption volontaire de grossesse, propre à l'Irlande, devrait être considérée par la Cour comme une exigence de l'ordre public national. [...]
[...] Ainsi, la marge d'action des Etats membres pour protéger, sur le fondement de l'exception d'ordre public, l'intérêt qu'ils invoquent va dépendre du degré d'harmonisation réalisé par le droit communautaire dérivé. Cette règle n'est du reste pas spécifique à l'exception d'ordre public, comme en témoigne la jurisprudence Campus Oil de 1984[28], relative à une mesure de sécurité publique justifiant une restriction à la libre circulation des marchandises. Avant que d'évoquer les faits de cette affaire et la solution retenue par la Cour de justice des Communautés européennes, il convient d'apporter quelques précisions sur les rapports qu'entretiennent les notions d'ordre public et de sécurité publique en droit communautaire[29]. [...]
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