Le renvoi préjudiciel prévu par l'article 234 du Traité de Rome est un mécanisme qui permet à une juridiction nationale, (et même l'y oblige, si ses décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne), de renvoyer à la CJCE les questions d'interprétation et d'appréciation de validité du droit communautaire qui sont soulevées devant elle au cours d'un litige dont elle est saisie. Cette procédure a donné lieu à plusieurs difficultés d'interprétation, notamment sur ce qu'il faut entendre par « juridiction » au sens de l'article 234 CE. C'est sur ce point que l'arrêt rendu par la CJCE en grande chambre le 31 mai 2005 apporte une précision d'importance en décidant que l'autorité nationale de la concurrence de Grèce n'est pas une juridiction, et ne peut donc poser utiliser le mécanisme de renvoi préjudiciel.
En l'espèce, quatre sociétés grecques, distributeurs et grossistes en produits pharmaceutiques, avaient saisi l'autorité grecque de la concurrence, l'Epitropi Antagonismou, du refus d'un fabricant de produits pharmaceutiques et de sa filiale de droit hellénique de satisfaire, dans un but de limiter le commerce parallèle, leurs commandes de certains médicaments. L'Epitropi Antagonismou se demande si ce refus n'est pas constitutif d'un abus de position dominante au sens de l'article 82 CE et pose à la CJCE deux questions préjudicielles sur l'interprétation de cet article afin de déterminer dans quelle mesure il serait applicable à l'espèce.
La CJCE, comme il convient systématiquement pour tout juge de le faire, examine la recevabilité de la demande de l'Epitropi Antagonismou, ce qui la conduit à estimer que sa compétence n'est pas établie au regard de l'article 234 CE, l'Epitropi Antagonismou ne pouvant être regardé comme une juridiction au sens de l'article 234 CE. La Cour rappelle en effet que, selon sa jurisprudence constante, qu'une question préjudicielle n'est recevable que si elle émane d'un organe pouvant être qualifié de juridiction au sens du droit communautaire, saisi d'un litige pendant devant lui et appelé à statuer dans le cadre d'une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel.
En l'espèce, la CJCE considère d'une part que l'Epitropi Antagonismou ne remplit par le critère d'indépendance qu'elle pose pour pouvoir qualifier un organe de juridiction (I), et d'autre part que les procédures engagées devant elle ne donnent pas systématiquement lieu à une décision de caractère juridictionnel en raison de la possibilité qu'elle soit dessaisi par la Commission des Communautés européennes (II).
[...] En outre, la solution dégagée en l'espèce ne va pas non plus, comme le remarque l'avocat général Jacob, dans le sens d'une économie de procédure puisqu'aux termes du règlement précité de 2002, le dessaisissement en faveur de la Commission n'est pas possible devant les juridictions statuant en qualité d'instance de recours contre les décisions des ANC. L'argument avancé dans cet arrêt par la CJCE n'aurait alors plus lieu d'être, et rien ne s'opposerait à la recevabilité du recours si la juridiction de recours est bien une juridiction au sens où l'entend la CJCE. [...]
[...] Or une juridiction ne saurait s'accommoder d'un contrôle hiérarchique de ses décisions par une administration. La Cour note ensuite (point 31) que le statut des membres de l'Epitropi Antagonismou ne leur offre pas une garantie efficace contre les interventions ou pressions indues du pouvoir exécutif En effet leur révocation ou l'annulation de leur nomination, qui est faite par le ministre du développement, n'apparaît pas entourée de garantie particulière, or l'inamovibilité des magistrats semble une nécessité pour empêcher toute pression. Enfin, la CJCE relève l'existence d'un lien fonctionnel entre l'Epitropi Antagonismou (organe de décision) et son secrétariat (organe d'instruction, qui a en outre un pouvoir de proposition). [...]
[...] Elles peuvent en effet, en vertu de l'article 21 du règlement du 16 décembre 2002, s'adresser à elle pour obtenir des informations ou des avis au sujet de l'application du droit communautaire de la concurrence. Cependant, ce faisant, elles s'exposent au risque que la Commission estime que la complexité de l'affaire justifie qu'elle s'en saisisse. La Cour a peut-être ainsi voulu éviter que les ANC ne tentent d'empêcher leur dessaisissement en recourant à l'interprétation de la CJCE plutôt qu'à celle de la Commission. [...]
[...] Il semble en l'espèce que la Cour donne un relief nouveau, et non exempt de critiques, à ce critère, en mettant l'accent non sur le caractère juridictionnel de la décision finale mais sur l'existence d'une décision finale. L'on aurait pu penser qu'il importait peu que l'Epitropi Antagonismou rende ou non effectivement une décision, à partir du moment où la procédure dont elle est saisie a bien pour but de rendre une décision de caractère juridictionnel. La Cour parle en effet d'une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel, ce qui n'a pas le même sens que si la Cour avait exigé que la procédure aboutisse à une décision de caractère juridictionnel. [...]
[...] La CJCE en conclue que l'Epitropi Antagonismou ne se distingue pas nettement en tant que tiers par rapport à l'organe étatique Ce critère de l'indépendance fonctionnelle par rapport à la puissance publique a joué un rôle déterminant dans des problèmes de qualification délicats, que la Cour rappelle pour comparaison (CJCE mars 2000, Gabalfrisa. A contrario : CJCE mars 1993, Corbiau). Au regard des caractéristiques mêmes de l'organe auteur du renvoi, la qualification de juridiction semble poser problème. Cependant la Cour examine le deuxième critère qu'elle pose pour rendre recevable la question préjudicielle, savoir l'existence d'une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel et en conclue que ce critère-là n'est pas satisfait en l'espèce. [...]
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