La notion de bien, inextricablement liée à celle de la propriété, est fondamentalement politique. Sa définition dans les textes juridiques semble difficile, d'autant plus lorsqu'il s'agit d'une convention internationale (en l'occurrence la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales), puisqu'elle fait par nature l'objet d'un compromis. La question de la propriété, trop polémique et liée à la reconnaissance ou non d'une vision libérale de l'Etat, ne fut pas abordée lors de la rédaction de la CEDH en 1950. Un protocole additionnel, adopté le 29 mars 1952, traite de cette question en son premier article :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
« Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou amendes ».
La notion de bien, si elle est abordée, n'est pas définie dans ce protocole. Dans un dictionnaire juridique, on peut trouver une définition simple de ce terme : chose matérielle susceptible d'appropriation, et tout droit faisant partie du patrimoine. Cependant, l'organe juridique qu'est la Cour européenne des Droits de l'Homme a dû définir sa propre conception de la notion de bien, pour clarifier le droit de propriété, propriété qu'elle entend garantir. Comment a-t-elle procédé, et dans quel but ?
[...] La notion de bien selon la CEDH a dépassé la vision classique, française par exemple. Si la CEDH reconnaît la summa divisio meuble/immeuble, celle-ci n'a pas de conséquences juridiques comme en droit français. Cette reconnaissance a simplement été utile pour poser les marques de la reconnaissance et de la définition du bien selon la CEDH. Puis elle a intégré à la notion de biens les droits subjectifs, découlant d'une relation de droit public et de droit privé. Les créances étaient dès lors reconnues comme des biens. [...]
[...] Une révolution dans tous les domaines du droit? Selon Mattias Guyomar, maître des Requêtes au Conseil d'Etat, "les incidences du droit de l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme sur le droit administratif des biens ne sont pas aussi déstabilisatrices qu'on le prétend parfois. Le droit de propriété est en effet, en France, déjà largement garanti par la jurisprudence du juge administratif"[1]. M. Guyomar juge que la CEDH n'est intervenue qu'à la marge en ce qui concerne le droit administratif français (principalement en ce qui concerne les modalités d'indemnisation de la procédure d'expropriation, arrêt Lallement contre France du 22 avril 2002). [...]
[...] Dans le cas que nous étudions, la légitimité de la Cour ne semble pas pouvoir être remise en cause, puisqu'elle n'est qu'une réponse à un vide juridique. Ce vide était évident, un terme essentiel n'ayant pas été défini. On peut alors considérer que la Cour, dont il faut rappeler que les avis dissidents sont reconnus et publiés, n'a finalement fait que répondre à un appel implicite des rédacteurs de la Convention. Il ne s'agit pas d'un gouvernement des juges, puisque leur jurisprudence peut être renversée par une redéfinition de la notion de bien, dans un protocole additionnel. [...]
[...] Elle reconnut ainsi la qualité de bien à ces meubles incorporels, en leur appliquant l'article 1 du premier protocole additionnel à la CEDH. ii. L'intégration des droits subjectifs à la notion de bien faite par la Cour est classique - les droits subjectifs découlant d'une relation de droit public L'affaire Christian Müller a posé une nouvelle question. Le requérant avait cotisé auprès de la caisse de pension retraite en Autriche et au Liechtenstein. Cette double cotisation fut rétroactivement interdite, et le montant de sa pension fut donc diminué. [...]
[...] Ainsi, la Cour considère que l'Etat turc aurait dû protéger ce bien au sens de l'article 1er du Protocole, protection qui se devait d'être effective. Or, il est apparu que des défaillances des services d'entretien et de maintenance ont provoqué une explosion, ayant conduit à un glissement de terrain et à l'enfouissement du taudis. Ainsi, la Cour conclut qu'il y a eu atteinte au droit du requérant au respect de ses biens, atteinte qualifiée d'ingérence. La Cour a donc franchi un nouveau pas dans l'extension de la notion de bien, en conférant ce caractère à tout actif constituant pour son propriétaire un intérêt substantiel. [...]
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