« Le contrôle de constitutionnalité français est robuste, rapide, plus respectueux de la démocratie représentative et moins déstabilisateur pour le droit positif ». Sûrement l'ancien président du Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud avait à cœur de rendre hommage, à l'heure où il prononçait ces mots, à la qualité tant matérielle qu'organique de la justice constitutionnelle française, et ce en dépit de sa très faible longévité – tout juste 30 ans de manière effective – contrairement à la plupart des autres pays occidentaux. S'il est indéniable que le contrôle de constitutionnalité s'est largement développée en France depuis 1958 dans un double objectif salvateur d'assurer la suprématie de la Constitution par la voie juridictionnelle et de protéger les citoyens via la consécration des droits fondamentaux, l'auteur de cette maxime n'en serait pas moins d'accord avec son successeur Jean-Louis Debré, consulté pour l'occasion par le Comité de réflexion sur la modernisation des institutions présidé par M. Balladur, de la nécessité de moderniser le contrôle de constitutionnalité par voie d'action des lois et, implicitement, le « modèle européen de justice constitutionnelle » adoptés dans notre pays.
Ce type de contrôle par voie d'action attribue à une juridiction spécialisée (en France le Conseil constitutionnel) la compétence d'annulation des actes législatifs contraires aux normes constitutionnelles. D'essence objectif, nécessairement abstrait, il s'oppose logiquement dans son principe au contrôle antinomique dit d'exception, situé à l'intérieur du modèle « américain » de justice constitutionnelle où, à l'occasion d'un litige devant un quelconque tribunal, une partie peut se défendre contre l'application d'une loi, postérieurement à son entrée en vigueur, en invoquant son inconstitutionnalité, un contrôle de nature subjectif et concret du tribunal décidera alors de son application ou non en cas d'inconstitutionnalité.
L'antithèse flagrante des deux systèmes s'explique manifestement par l'histoire et la culture des pays les ayant mis en place : d'un côté la France, d'inspiration rousseauiste, sacralisant à la Révolution la loi dans l'article 6 de la Déclaration des Droit de l'Homme et du Citoyen pour ses vertus égalitaires en empêchant aux tribunaux de la contrôler, en souvenir des parlements d'Ancien Régime et de leur équité douteuse, la célèbre maxime faisant foi ; de l'autre, les toutes jeunes Etats-Unis considérant à l'inverse que les lois toujours anglaises n'étaient pas les mêmes pour tous et ne pouvaient en conséquence être appliquées à un individu obtenant du juge une déclaration d'inconstitutionnalité (« Marbury vs Madison », 1803), quitte à se laisser prendre au jeu du « gouvernement des juges ».
Que le Comité Balladur réfléchisse actuellement à un possible rajout d'une voie d'exception dans notre justice constitutionnelle n'est pas nouveau – dixit les souhaits émis par Vedel et les volontés de réformes en 1990 et 1993, sans succès – mais cela constituerait très certainement une « véritable révolution » selon Jean-Éric Schoettl, avant-dernier secrétaire général du Conseil constitutionnel, termes maîtrisés aujourd'hui par Jean-Louis Debré qui voit dans cette action une manière de « combiner les avantages de cette procédure [le contrôle par voie d'exception] avec ceux de notre système existant [le contrôle par voie d'action] », position d'ailleurs partagée par le Vice-président du Conseil d'Etat Jean-Marc Sauvé.
L'ajout d'un deuxième type de contrôle de constitutionnalité à notre justice constitutionnelle, en l'occurrence par voie d'exception, serait-il judicieux pour renforcer et moderniser l'effectivité de l'action du Conseil constitutionnel ? De manière sous-jacente, quels sont donc les avantages et inconvénients de ces deux types de contrôle ?
Visiblement, si les deux sages, comme la plupart de la doctrine, montrent leur attachement au système actuel (I), marquant leur respect vis-à-vis d'une pratique cinquantenaire maîtrisée garantissant la suprématie de la Constitution et la protection de la loi, ils s'affichent favorablement pour une réforme procédurale du contrôle de constitutionnalité avec l'addition d'un second type de contrôle par voie d'exception, plus proche des citoyens (II), qui serait plus effectif en cas de partage du contentieux avec les deux cours suprêmes des ordres judiciaire et administratif.
[...] Le Comité reste ainsi visiblement vigilant aux intentions certainement très louables, pour le bien de l'intérêt général, des membres du Conseil d'Etat qui désirent, et c'est parfaitement compréhensible, marquer la prédominance des cours suprêmes sur les juges ordinaires. La méfiance se mêle alors à la croyance d'un désir salutaire d'assurer la qualité des décisions. En tout état de cause, l'audition était dense, technique, passionnante. Elle a eu le mérite de montrer qu'une majorité se dégageait au sein du Comité en faveur de la mise en place du contrôle de constitutionnalité par voie d'exception : une nouvelle intéressante au vue des échecs de projets similaires en 1990 et 1993. [...]
[...] Cette suggestion se fonde sur le simple constat que le contrôle de conventionnalité des lois, c'est-à-dire l'analyse de la conformité d'une loi par rapport à un traité international, est déjà assuré depuis longtemps par la Cour de cassation et le Conseil d'Etat et dégagé par les célèbres arrêts respectifs des deux cours Société des cafés Jacques Vabre en 1975 et Nicolo en 1989 d'autant que le Conseil constitutionnel s'était déclaré incompétent pour le faire dans la non moindre célèbre décision IVG du 15 janvier 1975 Les membres du Comité de réflexion sur la modernisation des institutions, lors de leur audition du Vice-président du Conseil d'Etat, ne se sont pas privés de lui demander des précisions. Guy Carcassone a été ainsi particulièrement coupant lorsqu'il a demandé s'il y avait jamais une chance que le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation se dessaisissent d'une question préjudicielle de constitutionnalité au profit du Conseil constitutionnel. Enfonçant un peu plus le clou, Denys de Béchillon a demandé la raison pour laquelle il fallait un mécanisme différent pour l'exception d'inconventionnalité et celle d'inconstitutionnalité. [...]
[...] En effet, si la loi peut être attaquée puis censurée à tout moment, la sécurité juridique mise à mal, pourtant consacrée par la Constitution, peut provoquer un trouble possible à l'ordre social et une imprévisibilité du droit. En outre, en faisant de la loi une norme comme une autre, on la banalise ; alors que le politique est en crise, ce n'est peut-être pas le moment de fragiliser cette institution : en effet, selon le professeur Carcassonne, membre notable du présent Comité, que la loi ne soit plus la norme de référence est un progrès, mais elle ne doit pas pour autant être prise à la légère, paillasson sur lequel n'importe quel juge peut s'essuyer les pieds Les détracteurs du contrôle de constitutionnalité aiment d'ailleurs à rappeler que de grandes démocraties, telles la Grande- Bretagne, les Pays-Bas, sont dépourvus de mécanismes de contrôle de constitutionnalité. [...]
[...] La loi n'est pas annulée pour autant, elle reste valable et applicable à tout le reste de la population ; on imagine alors le malaise qui subsiste pour des lois bafouant les libertés fondamentales et les droits de l'homme dans son ensemble. Favoreu résume admirablement ce raisonnement : la fonction du contrôle de constitutionnalité est moins de résoudre tel ou tel cas individuel que de statuer sur telle ou telle grande question dont la résolution paraît nécessaire dans l'intérêt général Mais le contrôle par voie d'action ne se contente pas en l'espèce de favoriser le rayonnement de la Constitution sur l'ordre juridique, il protège aussi la loi ; le renversement de situation n'aura donc pas entraîné la mort du dogme cher aux rousseauistes, au contraire. [...]
[...] La lésion de ses droits n'est pas un moyen recevable pour initier le contrôle d'une loi déjà promulguée et, bien sûr, il n'est pas autorisé à saisir la juridiction constitutionnelle. Le citoyen français est en outre dépourvu de toute possibilité de demander une révision de la Constitution pour modifier la configuration du contrôle de constitutionnalité des lois, ni d'ailleurs pour faire prévaloir sa volonté à la suite d'une décision du Conseil constitutionnel. Pour cela il doit compter, selon les procédures, sur le bon vouloir des parlementaires ou des plus hautes autorités de l'Etat. [...]
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