En l'espace de quelques années, le principe de précaution est parvenu à occuper une position centrale dans différents pans du droit communautaire. Consacré par de nouvelles directives, invoqué dans les contentieux commerciaux avec les Etats-Unis, il est appliqué par le juge communautaire dans des litiges allant de la conservation des ressources naturelles à la sécurité alimentaire. Mais l'engouement suscité par le principe de précaution est à la hauteur des difficultés juridiques qu'il engendre. Propre à un contexte néo ou post-moderne du droit, l'affirmation par touches successives du principe de précaution n'en finit pas de bouleverser les certitudes des juristes. La montée en puissance de ce concept nouveau aux contours imprécis, mal maîtrisé par la règle de droit et difficilement cernable, bouscule l'orthodoxie juridique. Le principe de précaution reformule le rapport du droit à la science en introduisant le doute. Aujourd'hui, la potentialité d'un risque suffit pour remettre en cause les principes structurant le marché unique. La prise en compte du principe de précaution déclenche en effet l'application d'un régime spécifique, dérogatoire du droit commun communautaire, paralysant la libre circulation des marchandises voire des personnes ( cas de la fièvre aphteuse ) et altérant la liberté du commerce et de l'industrie. Cette mise entre parenthèses des principes classiques de droit communautaire au profit d'un autre principe issu du même ordre juridique, se situe au cœur des enjeux liés à l'introduction du principe de précaution : il s'agit de trouver un juste équilibre et une conciliation entre la nécessité de protéger la santé humaine ou l'environnement et les intérêts économiques en cause, ainsi que d'éviter toute dérive d'utilisation du principe de précaution comme un instrument de légitimation des volontés protectionnistes des Etats. D'où la nécessité d'encadrer strictement le recours à ce principe par des conditions spécifiques d'application et par un contrôle du juge communautaire.
...
[...] Le juge communautaire ne peut substituer son appréciation des éléments factuels à celles des institutions. Il s'agit donc d'un contrôle minimum. Le juge a cependant affirmé que les exigences liées à la protection et à la santé publique doivent incontestablement se voir reconnaître un caractère prépondérant par rapport aux considérations économiques (TPICE, 11/09/2002, Alpharma). Si le juge communautaire reste prudent sur l'appréciation scientifique portée et refuse de s'aventurer trop loin dans des controverses hautement techniques, il pourrait par contre exercer un contrôle de proportionnalité. [...]
[...] Le principe de précaution a progressivement glissé du statut de norme interprétative vers celui de véritable principe général du droit communautaire. L'arrêt Artegodan du 26/11/2002 le définit en effet comme un principe autonome découlant des dispositions du traité et le consacre formellement comme un principe général du droit communautaire cette jurisprudence étant confirmée par l'arrêt Laboratoires Servier du 28/01/2003. Cette évolution constitue un bel exemple de la création d'un principe général, ayant par définition un champ d'application général, à partir d'une disposition spécifique du traité. [...]
[...] Dans le contexte du principe de précaution, le respect des garanties conférées par l'ordre juridiques communautaire dans les procédures administratives revêt une importance d'autant plus fondamentale (TPICE, 11/09/2001, Pfizer). Cependant, si, certes, des garanties procédurales sont accordées aux justiciables, ces derniers ne sauraient en avoir la maîtrise, puisque le TPICE a jugé que les institutions n'ont pas l'obligation de les intégrer pleinement au processus de décision (TPICE, 11/09/2002, Alpharma). Bien qu'une certaine marge de manœuvre des autorités soit nécessaire dans un contexte d'incertitude, le contrôle du juge communautaire sur la légalité des mesures prises sur le fondement du principe de précaution, et pouvant porter atteinte au principe fondamental de libre circulation, semble donc largement insuffisant. [...]
[...] Par ce truchement, le principe de précaution s'inscrit donc en droit dans tout acte susceptible de faire courir un risque même éventuel aux personnes et aux choses. Dès lors, son champ d'application se trouve considérablement élargi. Le principe de précaution a largement été utilisé par le juge communautaire dans des affaires relatives à la santé publique, à la sécurité alimentaire et à la protection du consommateur : - CJCE, 05/05/1998, Royaume-Uni c. Commission (affaire ESB - TPICE, 16/07/1998, Bergaderm (crèmes solaires contenant des produits cancérigènes) - TPICE, 11/09/2002, Pfizer et Alpharma - TPICE, 28/01/2003, Laboratoires Servier Dans sa communication de février 2000, la Commission semble même vouloir étendre le principe de précaution aux domaines de la santé animale et végétale et de l'environnement dans son ensemble, dépassant ainsi le strict cadre de l'hygiène alimentaire ou de la protection de la santé des consommateurs. [...]
[...] Cependant, l'incertitude scientifique, fondement même du principe de précaution, rend difficile son application et laisse aux institutions communautaires un large pouvoir d'appréciation. Il appartient à ces dernières de fixer le niveau de risque jugé acceptable pour la société, étant entendu que le risque zéro ne peut exister. De plus, il ne leur appartient pas de prouver la réalité et la gravité du risque, mais simplement d'établir qu'une mesure a été prise sur la base d'une évaluation scientifique aussi exhaustive que possible. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture