« La coopération judiciaire instaurée par l'article 177 CEE, après avoir traversé la zone de
tempête que l'on connaît, semblait avoir atteint un rythme de croisière, perturbé seulement par
quelques îlots de résistance bien délimités. Or, on peut se demander si les manifestations
d'opposition irréductible de la part de certaines juridictions nationales à l'égard de la
jurisprudence développée par la Cour quant à l'effet ratione temporis de ses arrêts, n'annonce pas
la survenance d'une nouvelle phase de turbulences inquiétantes pour l'unité d'application du droit
communautaire dans les différents Etats membres ».
Denys Simon, dans son article « Les effets dans le temps des arrêts préjudiciels de la Cour
de justice des Communautés européennes : enjeu ou prétexte d'une nouvelle guerre des juges ? » ,
avait bien délimité la problématique de l'effet dans le temps de l'invalidité d'actes communautaires
constatée dans le cadre d'une procédure préjudicielle. En effet, celle-ci mettrait en péril la
coopération judiciaire instaurée entre la Cour de justice des Communautés européenne (CJCE) et
les juridictions nationales par l'article 234 du Traité CE (ancien article 177 du Traité CEE).
Ce sujet, dont le débat a commencé à l'occasion des arrêts du 15 octobre 1980 - Providence
agricole de la Champagne, Maïseries de Beauce, Roquette Frères - a connu plus récemment un
nouveau dénouement à l'issu de l'arrêt du 26 avril 1994 Roquette.
Cette affaire met en cause le règlement n° 2719/75 qui fixe les montants compensatoires
monétaires (MCM) applicables à chacun des produits dérivés de la transformation du maïs à un
niveau tel que la somme de ces montants s'élève à un chiffre total nettement supérieur à celui du
montant compensatoire sur la quantité de maïs mise en oeuvre. La société Roquette introduit un
action en répétition de l'indu devant le Finanzgericht Düsseldorf contre l'administration des
douanes pour un trop-perçu de MCM. Mais celle-ci utilise pour sa défense l'argument selon lequel
elle n'a fait, en l'espèce, qu'une « juste application » du règlement de la Commission.
A l'occasion du litige pendant devant elle, la Finanzgericht Düsseldorf adresse à la Cour une
demande tendant à obtenir une décision à titre préjudiciel sur la validité du règlement en cause et
sur les effets dans le temps d'un éventuel arrêt préjudiciel constatant l'invalidité de celui-ci.
Le problème suscité dans cet arrêt est celui des effets dans le temps d'une décision
préjudicielle d'invalidité d'un acte communautaire. Cette décision n'a-t-elle qu'un effet rétroactif
ou une modulation de cet effet est-elle possible ? Dans le cas où une modulation est possible, doitelle
être erga omnes ou le principe de rétroactivité peut néanmoins s'appliquer à certaines catégories
de personnes ?
[...] On assiste donc à un alignement des deux branches du renvoi préjudiciel quant aux effets dans le temps des arrêts préjudiciels d'interprétation et d'invalidité. [...]
[...] La Cour peut seule décider d'une limitation dans le temps de l'arrêt qu'elle prononce (point 20) : elle pose dès lors une exception. Il existe en tout état de cause une exception à l'exception qui joue en faveur de la personne concernée par le renvoi préjudiciel ou celle qui aura déposé une réclamation .administrative pour obtenir le remboursement des MCM qu'elle aura payé sur le fondement du règlement en cause. Cette exception posée par le juge communautaire est totale et non plus décidée au cas par cas à travers une appréciation subjective du juge national. [...]
[...] On a donc en l'espèce un problème de répétition de l'indu que la Cour expose dans son point 18 : les organismes nationaux doivent en conséquence veiller à la restitution des sommes qu'ils ont indûment perçues sur le fondement de règlements communautaires ultérieurement déclarés invalides Comme pour l'arrêt interprétatif, sont apparues des considérations de sécurité juridique qui ont amené la Cour dans son arrêt à limiter dans le temps les effets de l'invalidation. On ne fait jouer l'invalidation qu'à partir du jour du prononcé de l‘arrêt : on parle d'un effet ex nunc. En effet, la Cour estime qu'elle a la possibilité de moduler les effets d'une déclaration d'invalidité qu'elle constate dans son arrêt préjudiciel, lorsque des considérations de sécurité juridique s'opposent à ce que des situations juridiques qui ont épuisé leurs effets dans le passé soient remises en cause (point 19). [...]
[...] Néanmoins, dans l'étape finale de son raisonnement, la Cour va se prononcer sur les contours de l'exception appliquée au cas d'espèce notamment sur ses effets à l'égard de la demanderesse au principal : la société Roquette. Celle-ci et par extension tous les importateurs ayant introduit une réclamation à l'encontre d'un avis de perception d'un MCM peuvent-ils se prévaloir de l'invalidité de l'acte communautaire auquel l'effet non rétroactif (effet ex nunc) s'applique ? D‘abord, elle envisage les inconvénients d'un refus d'appliquer l'effet rétroactif à la demanderesse au principal ou à toute autre partie concernée notamment la carence de l'effectivité de la protection juridictionnelle. [...]
[...] Mais le principe de sécurité juridique doit être utilisé avec la plus grande attention. Déjà auparavant, la Cour avait estimé qu'elle disposait de la plus grande liberté pour limiter ainsi les effets d'un arrêt d'invalidité jusqu'à prévoir qu'aucun de ces effets ne pourrait se manifester avant la date de prononcé de l'arrêt. Un simple effet pour l'avenir, sans aucune exception, avait donc été prévu par plusieurs arrêts du 15 octobre 1980 : Providence agricole de la Champagne, Maïseries de Beauce, Roquette Frères. [...]
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