Chaque année, au cours du cycle de conférence de droit communautaire, la cour de cassation fait le point sur la force du droit de l'UE par rapport au droit national français. En 2006 Bruno Cotte, président de la chambre criminelle de la cour de cassation, avait déclaré à la suite de l'affaire Maria Pupino : « Le procès pénal est désormais encadré par de nombreuses normes internationales qui ne peuvent être inconnues des juges ». Ce thème reliant droit pénal et droit communautaire sera repris le 12 mars prochain par Yves Bot, avocat général de la CJCE (Cour de Justice des Communautés européennes).
Qui plus est, ayant rendu sa décision dans l'affaire Maria Pupino très peu de temps après les référendums négatifs en France et aux Pays-Bas sur la ratification du traité constitutionnel, la CJCE s'est vu notamment reprocher de s'être en quelque sorte substituée aux Etats membres et d'avoir anticipé l'entrée en vigueur du traité.
Dans les faits, en janvier et février 2001, Maria Pupino, enseignante d'école maternelle, est accusée d'avoir commis de multiples délits « d'abus des moyens de discipline » (art 571 c pénal italien) à l'encontre de certains élèves âgés alors de moins de 5 ans. En l'espèce, on lui reproche d'avoir frappé régulièrement ses élèves, de les avoir empêchés d'aller aux toilettes et de les avoir menacés de leur administrer des tranquillisants et de leur apposer du sparadrap sur la bouche. Le tribunal di Firenze a saisi la CJCE pour interpréter certains articles de la décision-cadre du 15 mars 2001 relative aux statuts des victimes dans le cadre de procédures pénales. Effectivement, selon le juge chargé des enquêtes italien, il est possible d'anticiper l'établissement de la preuve pour les victimes mineures. Car en vertu des dispositions de la décision-cadre de 2001, il est possible d'autoriser les enfants en bas âge alléguant avoir été victimes de mauvais traitements de témoigner avant la tenue de l'audience pour les protéger. Car les décisions-cadres sont invocables par une juridiction nationale et imposent de ce fait une interprétation conforme du droit national.
[...] D'autre part, il semblerait, mais cela n'a pas été explicitement noté dans l'arrêt Maria Pupino que finalement cette invocabilité relève d'un principe encore plus général : celui de la coopération loyale. Ce principe énoncé à l'article 10 TCE oblige les États membres à prendre les mesures nécessaires à l'exécution des normes issues du droit de l'Union européenne, mais en plus ils doivent veiller à la bonne réalisation de ces normes. En facilitant l'invocabilité des décisions-cadres, les juges de la cour de Luxembourg veulent s'assurer de la bonne exécution du droit de l'UE, en particulier celui issu du troisième pilier souffrant souvent d'un manque d'effet obligatoire. [...]
[...] Pourtant lorsque la cour relève l'invocabilité des décisions- cadres cela se rattache à une logique d'intégration. Cet arrêt rend vraiment compte de la communautarisation du troisième pilier. Pris pourtant juste après l'échec des référendums relatifs au traité établissant une constitution pour l'Union européenne, il octroie une vraie force obligatoire aux décisions-cadres avec possibilité de sanction. Les normes relatives ici au droit pénal sont invocables dans les États membres. Cet argument concernant l'interprétation conforme, retenu par la cour ainsi que par l'avocate générale Mme Kokott, ne s'inspirait pas uniquement de cette jurisprudence Von Colson et Kamann. [...]
[...] Il s'agit de savoir si ce type de norme communautaire a une force contraignante et peut être invoqué au cours d'une instance nationale. Il s'agit aussi de savoir si les États sont liés par ces normes. Effectivement, le Code pénal italien étant assez évasif et restrictif concernant l'autorisation de preuve anticipée, les juges italiens se demandaient si on pouvait appliquer la décision-cadre de 2001 relative au statut des victimes dans le cadre de procédure pénale. Pour rendre son arrêt, la CJCE renvoie à la définition même de la décision- cadre inscrite dans le traité sur l'Union-Européenne. [...]
[...] Cependant, de façon analogue à la directive, une décision-cadre n'a pas d'effet si elle n'a pas été transposée par le droit national. Dans une jurisprudence Marshall, la CJCE rappelle cela en déniant aux particuliers la possibilité d'invoquer l'interprétation conforme d'une directive non transposée à l'égard d'un autre particulier, de la même façon que l'État ne pourra l'invoquer contre un particulier (CJCE Marshall 26 février 1986). Dans ce cas, un particulier pourra seulement l'invoquer contre l'État fautif, ce depuis la jurisprudence Van Duyn (CJCE 4 décembre 1974). [...]
[...] En énonçant ces principes, la CJCE veut éviter qu'un particulier se voie appliquer une décision-cadre qui n'aurait pas été suivie de mesures de mise en œuvre et que celle-ci lui porte préjudice. En l'occurrence, Maria Pupino ne devait pas se voir opposer une sanction plus forte. Dès lors, seule une norme pénale plus douce (in mitius) peut être rétroactivement applicable. La cour avait peu de temps avant rendu une décision en ce sens : CJCE 3 mai 2005 Berlusconi. En l'espèce, des directives communautaires avaient été prises relatives à des mesures de publicité de sociétés. [...]
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