L'arrêt Commission contre France du 4 juin 2002, tout comme deux autres décisions de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) du même jour, C-367/98 et C-503/99, se prononce sur la compatibilité des actions spécifiques avec les libertés instaurées par le droit communautaire. Sans condamner l'action spécifique dans son principe et en s'appuyant sur la position de la communication de la Commission du 19 juillet 2007, il souligne les critères de compatibilité de celle-ci au droit communautaire. Cet arrêt s'inscrit dans une jurisprudence de la Cour qui tend à restreindre les privilèges des actionnaires publics.
Le décret nº93-1298 du 13 décembre 1993 attribue à l'Etat une action spécifique dans la société Elf-Aquitaine. Elle est en effet assortie des droits suivants : tout franchissement à la hausse des seuils de détention, directs ou indirects, des titres du dixième, du cinquième ou du tiers du capital ou des droits de vote de la société par une personne physique ou morale agissant seule ou de concert doit être approuvé préalablement par le ministre chargé de l'Economie, et il peut être fait opposition aux décisions de cession ou d'affectation à titre de garantie, figurant en annexe de décret, à savoir la majorité du capital des quatre filiales de la société que sont Elf Aquitaine Production, Elf Antar France, Elf Gabon SA et Elf Congo SA.
[...] Si les Etats peuvent changer leurs conceptions du droit de propriété et s'ils peuvent privatiser ou nationaliser, ils demeurent soumis aux finalités économiques qui sous- tendent le traité. Ils ne peuvent donc pas, sous couvert de modifier leurs conceptions de la propriété, entraver les libertés communautaires. Le mécanisme de l'action spécifique crée une société de troisième type selon Jean-David Dreyfus, entre la société de droit commun et l'entreprise publique. Elle maintient dans le cadre des privatisations les bases d'une économie mixte. [...]
[...] D'autre part, alors même que s'agissant du droit d'opposition à la cession de certains actifs stratégiques, le gouvernement invoquait de façon plus précise non les intérêts nationaux mais la nécessité de la protection de la sécurité d'approvisionnement des produits pétroliers, la cour observe encore que l'exercice du droit d'opposition du ministre n'est, lui non plus, soumis à aucune condition limitant le large pouvoir discrétionnaire du ministre quant au contrôle de l'identité des détenteurs des actifs des sociétés filiales Ce qu'exige la CJCE c'est bien l'existence d'une transparence fondée sur les exigences dégagées par la communication de 1997, à savoir des critères objectifs, stables et rendus publics L'appréciation de la proportionnalité du procédé La communication de 1997 exigeait également qu'en tout état de cause, le principe de proportionnalité [soit] respecté La CJCE tire de l'étendue du pouvoir discrétionnaire du ministre la conséquence que le principe de proportionnalité n'a pas été respecté. Les mesures étatiques restrictives ne peuvent pas être considérées comme proportionnées si elles ne sont pas définies à l'avance de façon objective selon des critères précis et rationnels. [...]
[...] Plus précisément il ressort d'une communication du 19 juillet 1997 de la Commission que ne sauraient être niées les préoccupations pouvant justifier que les Etats membres gardent une certaine influence dans les entreprises initialement publiques et ultérieurement privatisées lorsque ces entreprises agissent dans les domaines des services d'intérêt général ou stratégique. C'est l'examen d'une telle justification que la Cour annonce dans son point 42. Le rejet d'un fondement sur le droit de propriété Les Etats membres ne peuvent cependant pas exciper de leurs régimes de propriété visés à l'article 222 du traité pour justifier des entraves aux libertés prévues par le traité qui résultent des actions spécifiques. [...]
[...] En revanche des motifs de politique économique n'ont pas été admis. L'intérêt de renforcer une structure concurrentielle du marché ne peut constituer une justification légitime de restriction à la libre circulation des capitaux (CJCE juin 2002, Commission contre Portugal, 267/98, point 52 ; CJCE 2 juin 2005, Commission contre Italie C-174/04 points 36 et 37). C'est d'ailleurs ce qui ressort de la communication de 1997 qui parle de domaines des services d'intérêt général ou stratégiques On est en présence en l'espèce de ce que la CJCE appelle un intérêt public légitime L'existence de restrictions aux libertés communautaires à travers des actions spécifiques est non seulement justifiable d'un point de vue général mais admise en l'espèce. [...]
[...] On se trouve donc dans une situation claire d'action spécifique conférant à l'Etat des pouvoirs très étendus. On peut par exemple noter qu'il s'agit, dans le cas du premier droit, d'une approbation préalable et non pas seulement d'une opposition a posteriori. La qualification de restriction aux libertés reconnues par le droit communautaire Les pouvoirs d'opposition que l'action spécifique confère à l'Etat à l'encontre des dépassements de seuils de contrôle dans les entreprises privatisées ou à l'encontre de la cession de certains actifs stratégiques dans le but de protéger les intérêts nationaux constituent, même dans les hypothèses où ces pouvoirs s'exercent indifféremment à l'égard des capitaux des entreprises nationales et des capitaux des entreprises communautaires, des restrictions au principe de libre circulation des capitaux (article 56 CE qui dispose que dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les Etats tiers sont interdites et de la liberté d'établissement (article 52 CE). [...]
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