Il est rare que la Cour de Justice des Communautés européennes (ci-après CJCE) soit appelée à trancher des conflits de lois. L'arrêt Ingmar, rendu par la CJCE le 9 novembre 2000, présente donc une importance toute particulière à cet égard puisqu'il illustre ce cas.
En l'espèce, la société américaine Eaton Leonard Technologies Inc. (ci-après le commettant), établie dans l'Etat de Californie, conclut en 1989 un contrat d'agence commerciale avec la société Ingmar Gb Ltd (ci-après le préposé), établie au Royaume-Uni. En 1996, le contrat d'agence commercial prend fin.
Son terme laisse le préposé sans indemnité de fin de contrat conformément à ce qui était prévu par la clause introduite dans le contrat par les parties et qui stipulait que le contrat était soumis à la loi de l'Etat de Californie, loi non protectrice de l'agent commercial ne prévoyant donc pas d'indemnité de fin de contrat.
Le préposé assigne donc le commettant en vue d'obtenir le paiement d'une commission ainsi qu'une indemnisation pour la réparation du préjudice causé par la cessation de ses relations avec le commettant, comme le prévoit les Commercial Agents Regulations qui ont, en 1993, transposé en droit anglais la directive 86/653/CEE du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants.
Le commettant, invoquant que le droit applicable était celui prévu dans le contrat et non celui invoqué par le préposé, s'opposait à cette demande et refusait, de ce fait, de payer toute indemnité.
Il est ici question de savoir si un agent commercial, qui exerce son activité dans la Communauté européenne, peut bénéficier des mesures protectrices d'indemnisation de fin de contrat prévues dans les normes nationales de transposition de la directive communautaire du 18 décembre 1986, alors même que les parties ont soumis leur contrat, par une clause, à l'application du droit d'un Etat tiers à la Communauté européenne.
[...] En effet, il est ici question de savoir si un agent commercial, qui exerce son activité dans la Communauté européenne, peut bénéficier des mesures protectrices d'indemnisation de fin de contrat prévues dans les normes nationales de transposition de la directive communautaire du 18 décembre 1986, alors même que les parties ont soumis leur contrat, par une clause, à l'application du droit d'un Etat tiers à la Communauté européenne. La CJCE répond à cette question préjudicielle par l'affirmative en considérant que les dispositions de la directive 86/653/CEE du 18 décembre 1986, garantissant le droit à indemnisation de l'agent commercial après cessation du contrat, doivent trouver application dès lors que l'agent commercial a exercé son activité dans un Etat membre et alors même que le commettant est établi dans un pays tiers et que, en vertu d'une clause du contrat, ce dernier est régi par la loi de ce pays En d'autres termes, dans l'arrêt Ingmar, il était question de savoir si le mécanisme protecteur de l'agent commercial prévu par la directive communautaire du 18 décembre 1986 pouvait être qualifié de loi de police faisant échec à l'application de la loi d'autonomie. [...]
[...] La High Court of Justice Queen's Bench Division, par un jugement du 23 octobre 1997, retient que les Commercial Agents Regulations ne s'appliquent pas en l'espèce au contrat litigieux, le contrat étant soumis à la loi de l'Etat de Californie. Le préposé interjette appel du jugement devant la Court of Appeal qui sursoit à statuer et pose une question préjudicielle à la CJCE, estimant que la solution du litige au principal dépend de l'interprétation de la directive communautaire. Cette question préjudicielle posée par la Court of Appeal recouvre l'intérêt même de l'arrêt. [...]
[...] Il y a ici un refus de prendre en compte la dimension communautaire de la loi française de transposition de la directive, si bien qu'une telle divergence d'appréciation sur la qualification de loi de police existante entre les 2 arrêts ne saurait subsister longtemps en vertu du principe de primauté de l'ordre communautaire. Enfin, le caractère impératif des articles 17 et 18 de la directive est confirmé par les paragraphes 1er et 3e de l'article 22, de cette dernière. Cet article prévoit une application immédiate des dispositions nationales transposant la directive à tous les contrats, dans le cas du Royaume-Uni, puisque les dispositions nationales anglaises transposant la directive sont entrées en vigueur le 1er janvier 1994, date butoir de transposition de la directive fixée par l'article 22 pour le Royaume-Uni. [...]
[...] La CJCE, dans l'arrêt Ingmar, se fonde donc surtout sur la nécessité de la réalisation des objectifs globaux poursuivis par le TCE. On voit donc bien que les raisons qui ont conduit la CJCE à admettre la qualification de normes impératives sont donc essentiellement communautaires. Cela est critiquable car l'impérativité conférée par la CJCE aux dispositions protectrices de la directive communautaire est indifférente aux considérations spécifiques de protection de la partie faible et aux considérations de méthode de détermination de l'impérativité particulière d'une règle communautaire. [...]
[...] La portée de cet arrêt aurait surtout pu concerner le droit communautaire de la consommation, puisque, si l'on admet que la simple résidence du consommateur dans un Etat membre constitue un lien suffisamment étroit avec la Communauté, toutes les directives communautaires qui visent la protection du consommateur contractant pourraient être considérées comme des lois de police contractuelles, ce qui ne serait pas sans incidence sur la Convention de Rome. Malgré ces craintes, l'arrêt Ingmar donne un nouvel éclairage aux lois de police contractuelles et renforce l'effectivité du droit communautaire dans l'ordre international. [...]
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