L'action spécifique a été introduite en droit français, dès la première vague de privatisations, par la loi du 6 août 1986. Selon son article 10, une action spécifique est susceptible d'être créée dans les sociétés transférées au secteur privé si la « protection des intérêts nationaux l'exige » ou si « l'indépendance nationale est en cause ».
En l'espèce, la Commission des Communautés européennes a introduit un recours contre des dispositions du décret du 13 décembre 1993 qui a attribué à l'État français, lors de la privatisation de la société Elf-Aquitaine, une action spécifique qui lui offre deux prérogatives exorbitantes du droit commun des sociétés :
- tout franchissement à la hausse des seuils de détention directe ou indirecte de titres du dixième, du cinquième ou du tiers du capital ou des droits de vote de la société par une personne physique ou morale, agissant seule ou de concert, doit être approuvé préalablement par le ministre de l'économie
- il peut être fait opposition aux décisions de cession ou d'affectation à titre de garantie du capital de quatre des filiales les plus importantes d'Elf-Aquitaine.
Si on perçoit aisément l'intérêt de ces mesures qui permettent à l'État, dans le domaine de la distribution de ressources énergétiques particulièrement stratégiques, d'éviter, lors de la privatisation de l'entreprise, son appropriation par des tiers, il n'en reste pas moins que ces prérogatives ont quelque mal à s'accorder avec le principe communautaire de libre établissement et de libre circulation des capitaux.
Aussi, à quelles conditions la réglementation instituant une action spécifique en faveur de la République française dans la Société nationale Elf-Aquitaine pouvait-elle être compatible avec le droit communautaire, et notamment au regard du principe de libre circulation des capitaux ?
[...] Ainsi, si ces actions spécifiques sont utilisées dans des secteurs pour lesquels l'Etat estime devoir conserver un contrôle sur le comportement politique de l'entreprise qui vient d'être privatisée afin de réserver un intérêt supérieur, encore faut-il que cela corresponde effectivement à une raison impérieuse d'intérêt général pour reprendre l'expression utilisée par la Cour. En l'espèce, la CJCE s'attache, dans un premier temps, à contrôler si les actions spécifiques correspondent à l'une des justifications admises par le droit communautaire. Puis, dans un second temps, elle examine la conformité des modalités de leur mise en œuvre (cf II. A.). [...]
[...] Ainsi, en l'espèce, l'invocation des nécessités de la sécurité publique est fortement encadrée par la Cour, puisqu'elle ne vaut qu'en cas de menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société Cette solution avait déjà été adoptée dans un arrêt en date du 14 mars 2000, Eglise de Scientologie. D'autre part, la Cour retient une conception extensive du contrôle des pouvoirs des Etats. Invitée par l'avocat général à restreindre son contrôle juridictionnel, la Cour ne se laisse pas convaincre. [...]
[...] En l'espèce, suivant la Commission, la Cour de justice reproche au régime français de dépasser ce qui était nécessaire pour prévenir une atteinte à l'approvisionnement minimal en produits pétroliers en cas de menace effective. En effet, le régime établi par le décret de 1993 ne soumettait l'exercice des prérogatives des autorités françaises à aucune condition, à l'exception d'une référence à la protection des intérêts nationaux, formulée de manière générale. Compte tenu d'un tel pouvoir discrétionnaire laissé au ministre pour accepter ou refuser le franchissement de seuil ou la cession de l'une des quatre filiales stratégiques de la Société, en l'absence de tout critère et de tout encadrement du pouvoir du Ministre au regard de l'objectif d'intérêt général affiché, la Cour a considéré que le régime contesté permettait d'aller au-delà de ce qui était nécessaire pour sauvegarder la sécurité des approvisionnements. [...]
[...] Cet arrêt s'inscrit donc dans le droit fil d'une jurisprudence classique, qui veille à ce que soient dûment justifiés tous les écarts des Etats membres par rapport aux libertés fondamentales consacrées par le traité. Il permet de rappeler aux Etats et d'illustrer de manière concrète les contraintes communautaires auxquelles sont soumis les Etats membres lorsqu'ils prennent des décisions susceptibles d'entraver, même de façon légère, la libre circulation des capitaux. Il permet également de leur rappeler que lorsqu'ils interviennent dans la sphère de l'économie qui est par essence le champ d'action de l'initiative privée en économie libérale, les restrictions imposées doivent non seulement répondre à un intérêt légitime, mais aussi être précisément encadrées. [...]
[...] Selon le Ministre de l'Economie français, les dispositions du Traité ne font pas obstacle à ce que les Etats membres assurent la sécurité de leurs approvisionnements énergétiques Aussi, à quelles conditions la réglementation instituant une action spécifique en faveur de la République française dans la Société nationale Elf-Aquitaine pouvait-elle être compatible avec le droit communautaire, et notamment au regard du principe de libre circulation des capitaux ? La Cour de Justice, par trois arrêts du 4 juin 2002, a posé ces conditions en vertu desquelles l'action spécifique pouvait être compatible avec le droit communautaire. [...]
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