Cour européenne des droits de l'Homme, 11 juillet 2017, Belcacemi et Ouassar contre Belgique - La faiblesse du contrôle de proportionnalité exercé par la Cour

Extraits

[...] A contrario, l'atteinte à la liberté de religion, et à la liberté des femmes de porter ce qui leur plaît, est concrète et réelle. Par ailleurs, le droit est-il le bon outil afin d'atteindre l'objectif du vivre ensemble ? L'éducation à la tolérance et à l'empathie n'est-elle pas un des moyens plus efficaces pour parvenir à cet état de société ? Commissaire du gouvernement Louis Corneille dans ses conclusions sur l'affaire Baldy du 10 août 1917. [2]Loi du 1er juin 2011, visant à interdire le port de tout vêtement cachant totalement ou de manière principale le visage. [...]

[...] C'est notamment le cas des juges Nußberger et Jäderblom pour qui « Le fait que quarante-cinq États membres sur quarante-sept – donc une écrasante majorité – n'aient pas estimé nécessaire de légiférer dans ce domaine est un indicateur très fort de l'existence d'un consensus européen »[4]. À travers sa pudeur, la Cour semble se dégager de son rôle objectif : celui d'harmoniser les législations des États membres, au regard des droits et libertés des administrés. Pourtant, c'est notamment grâce à des décisions bouleversant les pratiques étatiques actuelles, que les consciences s'ouvrent et qu'une protection plus effective peut voir le jour. Ce détachement est d'autant plus inquiétant qu'il avalise des normes aux conséquences attentatoires. B. [...]

[...] Dès lors, comment les juges peuvent-ils apprécier la légitimité du but ainsi poursuivi ? Le contrôle de proportionnalité nécessite une mise en balance complexe entre les différents enjeux en présence. Un tel mécanisme de pensée semble difficile à effectuer à l'aune d'un concept dont on ne peut concrètement saisir les tenants et les aboutissants. Nonobstant cet état de choses, la Cour décide d'avaliser cette conception subjective du vivre ensemble au détriment des libertés individuelles ainsi bafouées, et fait appel à sa jurisprudence antérieure dans le but de légitimer sa solution. B. [...]

[...] La discrimination indirecte, c'est à dire relevant d'une pratique neutre, mais susceptible d'entraîner un désavantage pour certaines personnes, est tout à fait avérée en l'espèce. De manière plus large, la Cour admet également que « l'État défendeur restreint d'une certaine façon le champ du pluralisme, dans la mesure où l'interdiction fait obstacle à ce que certaines femmes expriment leur personnalité et leurs convictions en portant le voile intégral en public ». Les juges savent en effet que ce type d'interdiction est porteur d'un risque conséquent pour les valeurs de la société moderne. [...]

[...] Le caractère abstrait du fondement mobilisé par la Cour Le vivre ensemble, principale notion appuyant l'argumentaire de la Cour, ne fait l'objet d'aucune définition précise. Ce défaut de clarté ouvre grand la porte à une appréciation subjective et incertaine que l'on peine à dissimuler derrière le prêche d'une jurisprudence antérieure A. Une notion ambiguë, source d'interprétation subjective S'appuyant sur les travaux préparatoires de la loi source du litige, la Cour strasbourgeoise met en lumière les trois objectifs poursuivis par l'esprit du texte : « la sécurité publique, l'égalité entre l'homme et la femme, et une certaine conception du “vivre ensemble” dans la société ». [...]