Face à un dommage causé par un acte juridique, les systèmes juridictionnels rencontrent nécessairement la question de la combinaison du recours de légalité et du recours de plein contentieux. En droit de l'Union européenne, cette question se pose avec une grande acuité, dans la mesure où les conditions d'exercice du recours en indemnité (recours de plein contentieux) sont très différentes de celles du recours en annulation (et en carence). C'est relativement à cette cohabitation entre recours en indemnité et recours en annulation que cet arrêt « Zuckerfabrik » de la CJUE datant du 2 décembre 1971 se prononce, visant une protection juridictionnelle effective et la cohérence du système des voies de droit.
En l'espèce, une société allemande productrice de sucre a subi les conséquences d'un passage d'une organisation nationale des marchés (avec fixation nationale des prix) à une organisation communautaire (comprenant une fourchette dans laquelle le prix de la production sucrière doit être compris). Elle invoque la perte de recettes qu'entraîne l'application de la réglementation communautaire, fixée par le règlement 769/68 du Conseil (qui devait substituer à partir du 1er juillet 1968 un régime de prix communs à l'ancien système des prix nationaux). La société allemande considère que ces dispositions sont incompatibles avec les principes du mécanisme de compensation énoncés par un règlement, mais aussi avec le principe de non-discrimination contenu dans l'article 40§3 du Traité ainsi qu'avec le principe général d'égalité. Elle soutient alors que le Conseil avait, en adoptant le règlement litigieux, commis une faute ayant causé générer un préjudice pour elle qu'il doit réparer pécuniairement. La société productrice de sucre forme ainsi un recours responsabilité extracontractuelle (au titre des anciens articles 178 et 215 CEE, devenus article 340 TFUE), afin d'obtenir une indemnisation pour compenser la perte alléguée de recettes. Plus précisément, sa requête devant la Cour comporte deux demandes : elle réclame à titre principal des dommages-intérêts dont le montant est chiffré, pour compenser le préjudice subi (tenant à la perte de recettes par rapport à l'ancien prix national), puis à titre subsidiaire, elle tend à obtenir une autre indemnité quelconque en réparation du même dommage subi.
[...] Ainsi, si comme habituellement la mise en jeu de la responsabilité nécessite les trois conditions cumulative d'une faute d'une institution (ou organe) de l'Union, un préjudice subi par le requérant et un lien de causalité entre les deux, c'est relativement à la première exigence de la faute que la Cour se montre plus stricte ici, exigeant un certain degré de gravité à la faute comme il apparaît à propos son expression de violation suffisamment caractérisée Sur le fond, elle va d'emblée examiner cette violation particulière comme elle l'indique à la suite du point 11 que partant l'examen de la Cour dans le présent litige doit en premier lieu porter sur l'existence d'une telle violation Concrètement, cette exigence quant à la gravité de la faute peut se comprendre par le fait que dans ce domaine impliquant des choix de politique économique, l'institution se voit reconnaître une certaine marge de manœuvre voire un pouvoir discrétionnaire. Dès lors, il aurait été contestable que sa responsabilité soit aussi facilement engagée dans un domaine de pouvoir discrétionnaire que dans un domaine de compétence liée. La Cour ne donne pas ici de définition quant à l'expression suffisamment caractérisée ce qui semble justifié quant à l'existence du pouvoir discrétionnaire dont disposent les institutions lorsqu'elles prennent des actes normatifs ou mesures générales en matière économique. [...]
[...] II) L'encadrement de la mise en œuvre de la responsabilité extracontractuelle L'encadrement de la mise en œuvre de la responsabilité se manifeste dans cet arrêt par la mise en relief de conditions d'engagement de la responsabilité plus exigeantes que les conditions de recevabilité du recours et cet arrêt de 1971 servant de base au régime sera clarifié par la jurisprudence ultérieure Des conditions d'engagement de la responsabilité de l'Union plus exigeantes Le lien entre responsabilité et illégalité n'est pas absolu en droit de l'union. Une mesure légale peut entrainer la responsabilité de l'union en raison des circonstances entourant sa mise en œuvre. A l'inverse, toute illégalité n'est pas constitutive d'une faute. En effet, la cour de justice considère de manière plutôt restrictive la responsabilité de la communauté pour les actes de portée générale qui impliquent des choix de politique économique. [...]
[...] Au contraire, si l'institution ne jouissait pas de cette marge d'appréciation, une faute simple serait suffisante pour engager la responsabilité extracontractuelle de l'Union et octroyer réparation au requérant. Pour conclure, si la recevabilité du recours en indemnité est largement entendue, permettant un accès large pour les particuliers au prétoire de la Cour pour faire valoir leur droit à réparation, ce n'est pas pour autant que la responsabilité de l'Union sera automatiquement engagée (dès que le recours sera déclaré recevable), car certes il faut assurer une protection effective aux particuliers, mais encore faut-il respecter l'équilibre institutionnel et un système de voies de recours cohérent et encadré. [...]
[...] Ce qui permet ainsi au particulier de mettre en cause la validité d'un acte réglementaire qu'il n'a pas qualité pour attaquer directement. La fin de non-recevoir soulevée par le Conseil (figurant au point 2 de l'arrêt) est rejetée, elle affirmait qu'un particulier ne pourrait avoir un accès ouvert au recours en indemnité quand son accès serait fermé au recours en annulation, d'autant plus que le Conseil estime que le recours de la société allemand n'aspire non pas à la réparation d'un préjudice, mais à la suppression des effets juridiques découlant de l'acte en cause. [...]
[...] Le risque est en effet de détourner de son objet le recours en indemnité, en se voyant instrumentalisé par les particuliers (car le recours en annulation est beaucoup plus difficile à exercer). Néanmoins, la Cour va choisir une solution libérale par l'affirmation de ce principe d'autonomie du recours en indemnité pour rapport au recours en annulation, car il n'a pas le même but (indemnisation du préjudice et non pas annulation d'un acte litigieux) et n'a d'effets qu'entre les parties aux litiges, et non envers les tiers. [...]
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