A la suite de la jurisprudence Union de Pequenos Agricultores (CJCE 25 juillet 2002 Aff. 50/00), l'arrêt Jégo Quéré soulève une nouvelle fois la problématique de l'articulation entre la "systématique des contentieux" (selon l'expression de D. Simon) et le droit à une protection juridictionnelle effective.
Un règlement du Conseil du 20 décembre 1992, modifié, a institué un régime communautaire de la pêche et de l'aquaculture. Son article 15 prévoit pour la Commission la possibilité de prendre des mesures d'urgence en cas de perturbations graves et imprévues. Un règlement de la Commission du 14 juin 2001 est intervenu dans ce cadre afin de réduire les prises de merlu juvénile par le biais de mesures restrictives telles que l'imposition d'un maillage minimal. Le 2 août 2001, la société de pêche Jego-Quéré a formé un recours devant le Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes (TPI) tendant à l'annulation de certains des articles de ce règlement. La Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité au motif que la société n'était pas individuellement concernée par l'acte attaqué et n'était donc pas fondée à former un recours en annulation contre cet acte, au sens des critères dégagés par la jurisprudence Plaumann (CJCE 25 juillet 1963 aff. 25/62), d'après laquelle une personne physique ou morale ne peut être individuellement concernée par une disposition que si celle-ci l'atteint en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d'une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne. Tout en reconnaissant que Jégo Quéré ne pouvait pas être reconnue comme individuellement concernée sur la base de ces critères, le TPI s'est fondé sur le principe du droit à une protection juridictionnelle effective pour décider que, dans le cas où, comme dans l'espèce considérée, le requérant ne dispose pas d'autres voies de recours devant son juge national, il fallait reconsidérer l'interprétation stricte de personne individuellement concernée (pt 52). Le TPI a dès lors redéfini cette notion en posant qu'un particulier devait être considéré comme individuellement concerné si la disposition affecte d'une manière certaine et actuelle sa situation juridique en restreignant ses droits ou en lui imposant des obligations, ce qui lui a permis de déclarer le recours en annulation de Jégo Quéré recevable (TPI 3 mai 2002 Jégo Quéré c. Commission aff 177/01). Le 17 juillet 2002 la Commission a formé un pourvoi contre cet arrêt au motif que le TPI aurait violé l'article 230 TCE en déclarant le recours recevable.
La question que devait trancher la Cour était alors la suivante: Faut-il interpréter de manière plus souple la notion de personne individuellement concernée comme condition de recevabilité au recours en annulation dès lors que le requérant ne dispose pas de recours effectif devant le juge national?
L'arrêt de la Cour était donc très attendu, et la déception fut à la hauteur de l'attente. La Cour campe sur sa jurisprudence classique et refuse d'assouplir les conditions de recevabilité du recours en annulation pour les particuliers. Concernant la protection juridictionnelle effective, argument clé du TPI, le Cour se réfugie derrière la subsidiarité juridictionnelle en s'en remettant aux États membres (I). Cette solution attentiste est insatisfaisante et délaisse la question fondamentale de la compensation entre les différentes voies contentieuses qui pourrait assurer une véritable "Communauté de droit"(II).
[...] L'arrêt de la Cour était donc très attendu, et la déception fut à la hauteur de l'attente. La Cour campe sur sa jurisprudence classique et refuse d'assouplir les conditions de recevabilité du recours en annulation pour les particuliers. Concernant la protection juridictionnelle effective, argument clé du TPI, le Cour se réfugie derrière la subsidiarité juridictionnelle en s'en remettant aux États membres Cette solution attentiste est insatisfaisante et délaisse la question fondamentale de la compensation entre les différentes voies contentieuses qui pourrait assurer une véritable "Communauté de droit"(II). [...]
[...] En effet, il est peu probable que les États modifient rapidement leur système procédural ou prennent des mesures d'applications de tous les actes communautaires sans y avoir été obligés par la CJCE. D'autant plus que la Cour exige en la matière davantage de la part des États membres que de sa propre part. Ne reste donc pour le particulier souhaitant mettre en cause la légalité d'un acte communautaire, que la solution d'enfreindre délibérément l'acte con testé afin de pouvoir invoquer l'exception d'illégalité de cet acte lors des procédures judiciaires ouvertes à son encontre. [...]
[...] Comme le souligne le professeur D. RITLENG, "La complétude du système des voies de contrôle de la légalité des actes communautaire devient un postulat qui conduit au déni de justice" (Pour une systématique des contentieux au profit d'une protection juridictionnelle effective, Mélanges en hommage à Guy Isaac, 2004). Cette décision surprend par son caractère rigide et le contraste qu'elle présente avec l'attitude traditionnelle de la Cour face à l'accès au juge des particuliers. En outre, le "système complet de voies de recours et de procédures" présenté par la Cour comme un argument en faveur d'une notion stricte de l'atteinte individuelle pourrait à l'inverse être invoqué à l'appui de la consécration de l'interdépendance des voies de droit. [...]
[...] À l'appui de sa décision, la Cour effectue une analyse systémique du droit communautaire en rappelant que celui-ci établit un système complet de voies de recours et de procédures destinées à assurer le contrôle de la légalité des actes des institutions (pt 30). De cette complétude du système juridictionnel communautaire découle selon la CJCE le caractère autonome du recours en annulation, qui justifie le maintien d'une conception restrictive des critères de recevabilité de celui-ci. Ainsi, un particulier irrecevable à agir en annulation aura la possibilité de mettre en cause l'invalidité d'un acte soit en vertu de l'article 241 du TCE (exception d'illégalité), soit par le biais du renvoi préjudiciel en appréciation de validité, donc devant son juge national. [...]
[...] Tout en reconnaissant que Jégo Quéré ne pouvait pas être reconnue comme individuellement concernée sur la base de ces critères, le TPI s'est fondé sur le principe du droit à une protection juridictionnelle effective pour décider que, dans le cas où, comme dans l'espèce considérée, le requérant ne dispose pas d'autres voies de recours devant son juge national, il fallait reconsidérer l'interprétation stricte de personne individuellement concernée (pt 52). Le TPI a dès lors redéfini cette notion en posant qu'un particulier devait être considéré comme individuellement concerné si la disposition affecte d'une manière certaine et actuelle sa situation juridique en restreignant ses droits ou en lui imposant des obligations, ce qui lui a permis de déclarer le recours en annulation de Jégo Quéré recevable (TPI 3 mai 2002 Jégo Quéré c. Commission aff 177/01). [...]
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