L'article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1950 (Conv. EDH) dispose la chose suivante : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise ». Une sanction pénale basée sur un revirement de jurisprudence imprévisible est donc contraire à cet article qui prohibe la rétroactivité de loi pénale, ce que rappelle la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) dans cet arrêt Pessino contre France rendu le 10 octobre 2006.
Dans les faits, le requérant, gérant d'une société civile immobilière, avait poursuivi des travaux malgré une décision du juge administratif ordonnant le sursis à exécution du permis de construire dont il était titulaire. Des poursuites pénales avaient été engagées à son encontre et les juges du fond avaient hésité sur la qualification pénale à appliquer : soit celle du délit de continuation de travaux nonobstant une décision judiciaire ou un arrêté en ordonnant l'interruption (article L. 480-3, Code de l'urbanisme), soit celle d'exécution de travaux sans permis de construire préalable (article L. 480-4, Code de l'urbanisme), qualification pour laquelle la Chambre criminelle de la Cour de cassation a optée. Son pourvoi rejeté, le requérant saisit alors la CEDH sur le fondement de la non-rétroactivité de la loi pénale, et non sur le fondement de l'interprétation de la loi pénale comme le débat sur la qualification le laissait penser. Pour ce faire, il s'appuie sur le fait que la décision rendue par la Cour de cassation constitue un revirement jurisprudentiel, ce qui est contesté par le gouvernement français, et sur une violation de l'article 7 de la Conv. EDH estimant que « à la date de l'opération litigieuse, le droit pénal français n'incriminait pas la construction sur le fondement d'un permis de construire ayant fait l'objet d'une décision de sursis à exécution ».
Il s'agit donc pour la CEDH de savoir si la disposition légale rendant un acte punissable, éclairée à l'aide de la jurisprudence interprétative dont elle s'accompagne, remplit la condition de prévisibilité imposée par le principe de légalité des délits et des peines contenu dans l'article 7 de la Convention.
La CEDH répond alors positivement à la requête déposée en jugeant que l'article 7 a bien été violé car « il était difficile, voire impossible pour le requérant de prévoir le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation et donc de savoir qu'au moment où il les a commis, ses actes pouvaient entraîner une sanction pénale ».
Le principe rappelé ici par la CEDH est fondamental en droit pénal. Cet arrêt présente plusieurs intérêts puisque, d'une part, il vient confirmer la non-rétroactivité de la jurisprudence en droit pénal et, d'autre part, la place de la jurisprudence en la matière est questionnée au regard de l'évolution du principe de légalité sous l'égide de la CEDH. Si l'arrêt Pessino consacre ainsi le principe de non-rétroactivité des interprétations jurisprudentielles imprévisibles (I), des difficultés subsistent encore pour autant sur cette question (II).
[...] Cette démarche de la CEDH est dangereuse au regard de l'interprétation raisonnable du juge pénal, pouvant osciller entre sécurité juridique et arbitraire du juge. Malgré la tentative de la Cour pour démontrer la simplicité de son raisonnement pour retenir l'imprévisibilité dans le revirement jurisprudentiel de la Cour de cassation, l'arrêt pose quelques difficultés, tant au niveau du fondement de sa décision, que dans le débat doctrinal plus large sur le rôle de la jurisprudence en droit pénal. II. Les ambiguïtés induites par la solution de la CEDH Des ambiguïtés émanent de la décision rendue : d'une part, le juge de la CEDH semble hésiter pour fonder sa solution et, d'autre part, l'arrêt vient alimenter une controverse doctrinale ancienne au sujet de la place de la jurisprudence en droit pénal, et de la conception de la légalité criminelle A. [...]
[...] Elle semble confondre deux problèmes différents, à savoir comment mettre des limites au pouvoir interprétatif dont dispose le juge pénal et comment en organiser l'application dans le temps. La Cour aurait en effet pu tout aussi bien fonder sa décision sur une violation de l'article Conv. EDH en admettant que les articles L. 421-1 et L. 480-4 du Code de l'urbanisme avaient été l'objet d'une interprétation trop extensive. Cela lui aurait évité de se prononcer sur la rétroactivité d'une telle interprétation. [...]
[...] Dans ces affaires, le juge européen n'avait pas hésité à qualifier de viol des actes d'abus sexuel commis par des maris sur leurs épouses, même si cette incrimination résultait d'un revirement jurisprudentiel. Elle avait jugé que le caractère par essence avilissant du viol ne pouvait pas être compatible avec l'imprévisibilité invoquée grâce à l'article 7 de la Conv. EDH. Cela tend alors à faire une différence entre les infractions qui ont un clair contenu éthique, comme dans le cas du viol d'après M. [...]
[...] La consécration du principe de non-rétroactivité des interprétations jurisprudentielles imprévisibles La solution adoptée par le juge européen des droits de l'homme amène à envisager la question du revirement de jurisprudence par rapport à l'exigence de prévisibilité de l'article 7 de la Conv. EDH puis à analyser l'application de ce même article pour fonder l'imprévisibilité du revirement jurisprudentiel en l'espèce A. La question de la soumission de la jurisprudence à l'article 7 de la Convention L'exigence de prévisibilité de la loi pénale contenue dans l'article 7 de la Conv. [...]
[...] A ce sujet, l'arrêt du 10 octobre 2006 n'innove en rien : aucun critère efficient qui donnerait la possibilité de différencier l'interprétation analogique prétendument interdite de l'interprétation téléologique tolérée n'est apporté par la Cour qui se contente de faire référence au flou de la pratique quotidienne comme méthode d'interprétation. B. Une persistance du débat doctrinal sur le rôle de la jurisprudence et la conception de la légalité criminelle en droit pénal En doctrine, deux positions concernant le rôle de la jurisprudence et la conception de la légalité criminelle s'affrontent et le débat ne paraît pas encore tranché ici ce qui peut poser quelques problèmes dans l'ordre juridique. [...]
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