Dans l'affaire Martinie contre France, le requérant est un agent de l'Education Nationale de nationalité française. En juin 1987, il est nommé agent comptable du lycée René Cassin de Bayonne. Dans le cadre du contrôle des comptes rendus par les requérants pour les exercices 1989 à 1993, la chambre régionale des Comptes d'Aquitaine constate l'absence d'une délibération exécutoire du conseil d'administration de ce lycée décidant de diverses dépenses dont elle estime le montant à 221 107, 44 francs. Elle constitue donc le requérant débiteur de cette somme à l'égard du lycée, par un jugement du 17 octobre 1997.
La Cour des Comptes confirme ce jugement pour l'essentiel par un arrêt du 20 octobre 1998. Le requérant, n'ayant pas été invité à comparaître, ni à présenter ses observations et n'ayant pas eu connaissance de la date de l'audience fixée par la Cour des comptes, contrairement aux rapporteur et contre-rapporteur, conteste cet arrêt dont il considère qu'il viole l'article 6 § 1 de la CEDH.
Le Conseil d'Etat, quant à lui, déclare la requête en cassation « non admise », considérant que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas « de nature à permettre l'admission de la requête ».
Le requérant saisit alors la CEDH dans un arrêt du 15 février 1999. La requête est attribuée à la deuxième section de la Cour, qui s'en dessaisit le 3 mai 2005 au profit de la Grande Chambre.
Dans l'affaire Sacilor-Lormines contre France, la requérante, la société Sarcilor-Lormines, est une société anonyme constituée pour reprendre les concessions des mines de fer de Sacilor en Lorraine en 1978 et en liquidation amiable suite à une délibération de son assemblée générale du 3 mars 2000. Peu rentable, elle a décidé, dès 1991, d'arrêter la production et fait l'objet de privatisations en 1995 et 1997. Dans la perspective de la cessation complète de son activité, elle engage les procédures d'abandon renonciation des concessions dont elle était titulaire.
Le ministre chargé des mines refuse d'accepter sa renonciation à plusieurs concessions. Elle engage alors de nombreux recours tendant à l'annulation de ces refus et conteste par ailleurs les divers arrêtés préfectoraux portant mesures de police prises à son encontre devant les tribunaux administratifs. Faisant valoir que ces arrêtés ne tenaient pas compte du fait que les sites visés dans l'arrêté avaient fait l'objet d'une procédure d'abandon renonciation, elle saisit le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie par des courriers des 2 juillet et 17 septembre 1997. Le ministre refusant de les retirer, la requérante saisit le Conseil d'Etat de demandes en annulation pour excès de pouvoir de ces arrêtés, les 31 décembre 1997 et 17 mars 1998. Le Conseil d'Etat rejette à son tour ses prétentions, l'amenant cette fois à saisir la CEDH le 18 octobre 2000.
Elle considère en effet que la procédure devant le Conseil d'Etat viole l'article 6 § 1, dans la mesure où le tribunal ne serait ni indépendant ni impartial et où le commissaire au gouvernement participe au délibéré. Attribuée à la troisième section de la Cour, la requête a été déclarée partiellement recevable le 12 mai 2005, mais l'examen de l'affaire a été ajourné dans l'attente de l'arrêt Martinie, rendu en Grande Chambre.
La question de droit qui se pose à la Cour dans ces deux affaires est la suivante : la procédure particulière devant le Conseil d'Etat, et plus précisément l'institution du commissaire du gouvernement, le cumul des fonctions consultative et juridictionnelle et le mode de nomination des membres du Conseil d'Etat, est-elle conforme aux exigences posées par l'article 6 § 1 de la CEDH ?
Dans l'affaire Martinie, la Cour rend, le 12 avril 2006, un arrêt condamnant la France pour violation de l'article 6 § 1 de la CEDH pour ce qui concerne la procédure devant la Cour des comptes et le Conseil d'Etat et en particulier la participation du commissaire du gouvernement au délibéré. Dans l'arrêt Sacilor du 9 novembre 2006, elle confirme sa position à ce sujet et conclut à une seconde violation de l'article 6 en constatant également le bien-fondé des doutes de la requérante sur l'indépendance des juges une autre violation de l'article 6. En revanche, elle juge que le cumul des fonctions juridictionnelles et consultative au sein du Conseil d'Etat ne remet pas en cause, en soi, l'impartialité de ses membres.
Il s'agit ici de voir d'abord en quoi et comment la Cour EDH a constaté l'incompatibilité de l'article 6 § 1 de la CEDH avec la procédure devant le Conseil d'Etat (I), et ensuite pourquoi le Conseil d'Etat accueille cette jurisprudence avec de nombreuses réserves (II).
[...] Or, en l'espèce, ces conditions ne sont pas remplies. Aucun membre ayant participé à l'adoption de l'avis sur les dispositions du code minier ne faisait partie de la formation de jugement dans l'affaire Sacilor. Par ailleurs, la Cour a estimé que les questions posées à la section consultative étaient de nature abstraite et générale et, pour autant, différentes de celles plus concrètes posées à la section contentieuse. Cette position souple de la CEDH n'a pas suscité de réactions particulièrement indignées de la part du Conseil d'Etat. [...]
[...] La compatibilité de l'article 6 avec le cumul des fonctions consultative et juridictionnelle La société Sacilor soulève un deuxième grief : elle soutient que l'avis rendu par section consultative sur les dispositions du code minier peut avoir influencé les arrêts de la section du contentieux dans l'affaire Sacilor. En d'autres termes, elle estime que le cumul des fonctions consultative et contentieuse des membres du Conseil d'Etat remet en cause son impartialité. Cette fois, la CEDH ne retient pas l'interprétation de la requérante. [...]
[...] Belgique du 30 octobre 1991, elle constate la violation de l'article 6 1 de la Convention et condamne la participation du procureur général devant la Cour de cassation belge en affirmant l'importance attribuée aux apparences et la sensibilité accrue du public aux garanties d'une bonne justice Depuis, elle confirme cette jurisprudence à maintes reprises. Ainsi, elle condamne l'intervention au délibéré de l'avocat général près la Cour Suprême du Portugal dans l'arrêt Lobo Machado c. Portugal du 20 février 1996, ou encore celle de l'avocat général près la Cour de cassation dans l'arrêt Reinhardt et Slimane Kaïd c. [...]
[...] A cette théorie de l'apparence s'ajoute l'impératif de sécurité juridique qui impose à la CEDH de rester fidèle à sa jurisprudence antérieure. Dans l'arrêt Sacilor, la Cour adopte la même position ferme au sujet de la participation du commissaire du gouvernement au délibéré, puisqu'elle reprend intégralement les termes de l'arrêt Martinie. Elle adopte toutefois une position plus souple à propos de l'indépendance et de l'impartialité des membres du Conseil d'Etat. B. Une position plus souple de la Cour EDH quant à l'indépendance et l'impartialité des membres du Conseil d'Etat La portée limitée de la condamnation de la France au sujet de l'indépendance de la section du contentieux dans l'arrêt Sacilor L'un des conseillers d'Etat ayant siégé dans le cadre de l'affaire Sacilor ayant été nommé un mois plus tard secrétaire général du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, la requérante conteste l'impartialité du tribunal. [...]
[...] L'arrêt Martinie, une occasion manquée. AJDA 2006 - Genevois, Bruno, Conserver l'apport du commissaire du gouvernement tout en prenant en compte la jurisprudence AJDA 2006 - Sudre, Frédéric, Vers la normalisation des relations entre le Conseil d'Etat et la Cour européenne des droits de l'homme. Le décret du 19 décembre 2005 modifiant la partie réglementaire du code de justice administrative. RFDA 2006, p - Guillemin, Thibault, Le commissaire du gouvernement, suite et fin ? D p - Boré Eveno, Valérie, La Cour européenne des droits de l'homme, la France et le commissaire du gouvernement Petites Affiches 20/08/06 - Benoiton, Laurent, l'affaire Martinie contre France ou l'impossible dialogue des juges Petites Affiches, 21/06/06 - Sermet, Laurent, L'arrêt Martinie France : un arrêt de grande chambre ? [...]
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