Mais, avant ces arrêts qui ont défini clairement les choses au niveau communautaire, s'est posée en France la question de la primauté du Traité sur les lois internes et plus précisément sur les lois internes postérieures à ce traité. Celle-ci peut apparaître surprenante dans la mesure ou l'article 55 de la constitution précise très clairement la chose suivante : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur signature, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque traité ou accord, de son application par l'autre partie ». Nous verrons que malgré cette clarté apparente, ce texte a donné matière à réflexion.
En outre, une seconde question est apparue en droit français, à savoir : à qui revenait la compétence du contrôle de conventionnalité des lois? Autrement dit, quelle autorité était chargée de contrôler la conformité des lois nationales au Traité? Ce problème, nous le verrons, est directement lié au précédent antérieurement évoqué.
C'est dans ce contexte "flou" qu'est rendu l'arrêt Jacques Vabre par la Cour de cassation. Pour rappeler les faits, la société Jacques Vabre avait importé des cafés solubles des Pays Bas. Or, ceux-ci supportaient une imposition supérieure à celle supportée par les produits nationaux similaires en application de l'article 265 du Code des Douanes. En l'espèce, les requérants avaient alors invoqué l'article 95 du traité instituant la Communauté européenne qui interdit toute mesure discriminatoire consistant à imposer davantage les produits importés que les produits nationaux similaires afin de protéger ces derniers. Remarquons que l'article du Code des Douanes évoqué est postérieur au Traité et à son article 95. Plusieurs questions se sont posées au travers de cette affaire. La première était évidemment celle de la compétence du juge judiciaire pour procéder au contrôle de conventionnalité de l'article 265. Si cela était le cas, pouvait-il le faire alors que la loi était postérieure au Traité? Enfin, sur quelle(s) justification(s) se fonderait la primauté de ce droit communautaire? Les juges du fond ont accepté ce contrôle et, se fondant sur l'article 55 de la constitution, ont reconnu la primauté du droit communautaire sur les lois postérieures (en l'occurrence primauté de l'article 95 du Traité sur l'article 265 du Code des Douanes). La Cour de cassation a emprunté le même chemin, du moins concernant sa compétence à statuer sur la conventionnalité. Elle accepte donc la possibilité d'un contrôle des lois même postérieures. Toutefois, elle s'attardera a justifier la primauté du Traité non pas sur le fondement de l'article 55 de la Constitution, mais sur la spécificité de l'ordre juridique communautaire. Dès lors, on remarque une intégration juridique du droit communautaire doublement effective (I). Enfin, nous verrons que si la démarche employée par la haute juridiction est quelque peu contestable, cette jurisprudence n'en demeure pas moins opératoire, prolongée et toujours d'actualité (II).
[...] Il en ressort une position ambiguë : on ignore laquelle des deux justifications (article 55 / spécificité ordre juridique communautaire) l'emporte sur l'autre. Peut être cela traduit-il une certaine prudence de la Cour de cassation. Ces propos sont soutenus par Jean Boulouis dans son commentaire sur l'arrêt (cf note 11). Selon lui, la Cour aurait dû fonder la primauté du Traité sur les lois nationales uniquement au regard de l'article 55 de la Constitution afin d'éviter tout problème d'interprétation. Si sur ces divers points développés l'arrêt peut apparaître quelque peu contestable, il en est ressorti une jurisprudence constante, opératoire, et qui a connu quelques prolongements. [...]
[...] Crim p ( C.E., Ass octobre 1989, Nicolo, Recueil Lebon 1989, p ( C.E septembre 1990, Boisdet, Recueil Lebon 1990, p ( C.E., Ass février 1992, S.A. Rothmans International France, Recueil Lebon 1992, p C.J.C.E juillet 1964, Costa / E.N.E.L., aff. 6/64, Rec p C.J.C.E mars 1978, Simmenthal, aff. 106/107, paragraphe Rec p Cass. mixte mai 1975, Société Cafés Jacques Vabre, A.J.D.A p Cass. civ décembre 1931, Sanchez, D. 1932.I, p Cass. crim janvier 1972, Guerrini, D p Conclu. sur Cass. [...]
[...] Il pose en outre une condition de réciprocité : on parle de "monisme conditionnel". La jurisprudence dite "des semoules" du Conseil d'État[8] en découlant était la suivante : le juge administratif ne faisait prévaloir le Traité sur la loi uniquement lorsque celle-ci lui était antérieure. En revanche, en cas de postériorité, il refusait de faire primer le Traité et n'écartait donc pas la loi qui lui était contraire. Le Conseil justifiait sa position de façon voilée en écartant implicitement l'article 55 et cela sans parler de quelconque inconstitutionnalité. [...]
[...] Elle y ajoute la spécificité de l'ordre juridique découlant de ce même Traité : cette spécificité justifie l'applicabilité directe et la primauté sur la loi nationale, et écarte toute exception de réciprocité. Or ce dernier point est en opposition avec l'article 55 de la Constitution. Ainsi, après avoir utilisé ce même article pour fonder en partie la primauté du Traité sur la loi, la Cour donne l'impression de faire prévaloir l'ordre juridique communautaire issu du Traité sur la Constitution, et cela, en écartant le troisième moyen de l'administration soulevant l'exception de réciprocité énoncée elle aussi dans l'article 55. [...]
[...] Touffait, D p.497 ( CJCE Costa / ENEL juillet 1964, aff. 6/64, rec ( CJCE mars 1978, Simmenthal, aff. 106/107, paragraphe Rec p ( Cass. mixte mai 1975, Société Cafés Jacques Vabre, A.J.D.A p ( Cass. civ décembre 1931, Sanchez, D. 1932.I, p ( Cass. crim janvier 1972, Guerrini, D p ( C.E., 1er mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoule de France, A.J.D.A 1968, p.235 ( Cons. Constit., I.V.G janvier 1975, A.J.D.A p ( Cass. crim., 1er octobre 1979, Rossi di Montalera, Bull. Crim p ( Cass. [...]
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