« Tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité ». Cette formule, attribuée à Victor Hugo, pourrait expliquer le double mouvement communautaire tendant à la multiplication des droits des citoyens européens et, parallèlement, l'accroissement de la responsabilité des États dans l'application du droit communautaire. Cette tendance paraît confirmée par l'arrêt Traghetti del Mediterraneo SpA contre Repubblica de la Cour de justice des Communautés Européennes rendu le 13 juin 2006.
Il s'agit, dans cette affaire, d'une demande préjudicielle exercée par le Tribunale di Genova dans le cadre d'un recours d'une société de transport maritime (Traghetti del Mediterraneo) contre l'État italien en vue d'obtenir réparation du préjudice subi du fait d'une mauvaise interprétation des règles communautaires en matière de concurrence et d'aides d'État par la Corte suprema di Cassazione. Cette dernière avait notamment refusé de poser une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés Européennes quant aux dispositions pertinentes.
Devant le Tribunale di Genova, la Repubblica Italiana invoque la loi du 13 avril 1988 consacrant la responsabilité des juges. Cette loi pose cependant deux exceptions. La responsabilité du juge est en effet exclue, d'une part, lorsque la violation provient d'une interprétation des règles de droit ou à l'appréciation des faits et des preuves ; et, d'autre part, est limité, en dehors de l'hypothèse précédente, aux cas de dol ou de faute grave.
Ainsi, il appartient à la Cour de justice des Communautés Européennes de déterminer si l'État est, en effet, responsable d'une violation des règles du droit communautaire. Pour se faire, elle devra examiner la conformité de la loi du 13 avril 1988 avec les obligations incombant aux États du fait de la violation du droit communautaire. Dès lors, le problème se pose en ces termes : La responsabilité d'un État membre du fait de la violation du droit communautaire par une décision d'une juridiction nationale statuant en dernier ressort peut-elle être limitée par une réglementation interne ?
La Cour va d'abord confirmer la responsabilité de l'État pour violation du droit communautaire et ce, quel que soit l'organe à l'origine de la violation (I) avant d'exclure la conformité de la législation italienne (II).
[...] C'est ici tout le problème puisqu'en effet, le seul juge compétent pour connaître de la responsabilité de l'État membre en cas de violation du droit communautaire par une juridiction nationale statuant en dernier ressort est le juge national lui- même. Il n'existe pas de recours de ce type devant le juge communautaire, seule la Commission peut introduire un recours en manquement. Dès lors, les juridictions internes seules pourront être saisies par les particuliers demandant réparation. Or, il paraît difficile de voir une juridiction de dernier ressort (tels la Cour de cassation et le Conseil d'Etat dans l'ordonnancement juridique français) remettre en cause leur propre interprétation du droit communautaire. [...]
[...] C'est donc indirectement que cette décision Traghetti del Mediterraneo remet en cause l'autorité de la chose jugée. L'arrêt de la Cour de justice, Rosmarie Kapferer contre Schlank & Schick GmbH, du 16 mars 2006, rassure néanmoins sur ce point. La Cour y estime que : Le principe de coopération découlant de l'article 10 CE n'impose pas à une juridiction nationale d'écarter des règles de procédure internes afin de réexaminer une décision judiciaire passée en force de chose jugée et de l'annuler, lorsqu'il apparaît qu'elle est contraire au droit communautaire Ainsi, une solution contraire au droit communautaire n'a pas à être réexaminée ou annulée. [...]
[...] Cette fonction interprétative occupe par conséquent une place extrêmement importante. De même, dans la tradition juridique continentale (majoritaire au sein de la communauté), la juridiction statuant en dernier ressort est généralement un juge du droit, et non un juge des faits (comme c'est le cas en droit français). Dès lors, sa seule fonction est d'examiner l'interprétation du droit effectuée par le juge du fond et de la comparer avec celle qu'il préconise dans un but d'uniformisation. De surcroît, cette dichotomie entre fonction interprétative (n'engageant pas la responsabilité) et les autres fonctions (engageant la responsabilité) ne semble pas pertinente. [...]
[...] Ainsi, la Cour de justice des Communautés Européennes deviendrait juge de la réparation du particulier lésé par la mauvaise application du droit communautaire, participant à l'uniformité des sanctions au sein de l'Union Européenne. Il préexiste cependant deux objections. D'une part, il n'y aurait pas de recours possible, ce qui porterait atteinte au principe de sécurité juridique. D'autre part, cela constituerait un détournement de l'esprit du traité qui donne seule compétence à la Commission pour exercer un recours en manquement. Il s'agit là d'un dilemme auquel la Cour devra répondre afin de rendre effectif ce droit à réparation. [...]
[...] L'absence de remise en cause de l'autorité de la chose jugée En première analyse, la Cour de justice pourrait sembler remettre en cause l'autorité de la chose jugée. En effet, les décisions juridictionnelles rendues en dernier ressort appliquant le droit communautaire seront susceptibles de recours devant une autre juridiction compétente pour juger de la violation en cause. Ce n'est cependant pas le sens de l'arrêt. Il ne s'agira pas là de juger à nouveau l'affaire, mais d'en réparer les conséquences dommageables. [...]
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