Le Conseil d'Etat a été amené, dans le cadre de cet arrêt de 2006, a trancher en tant que juge de cassation un litige concernant la portée de l'obligation faite à l'Etat par l'article 88§3 du Traité CE de recouvrer une aide d'Etat illégale alors que la Commission déclare postérieurement cette aide compatible avec le marché commun. La Haute juridiction administrative va profiter de cet arrêt pour faire un point sur différents caractères contentieux relatifs à la question des aides d'Etat, en ce qu'elles sont soumises à un droit communautaire qui ne les admet que par exception et à l'issue d'une procédure de contrôle menée par la Commission. Il va s'agir notamment pour le Conseil d'Etat de déterminer la place du juge national dans ce schéma avant d'interroger l'étendue de ses pouvoirs en matière de restitution par le biais de deux questions préjudicielles au juge communautaire.
A considérer que les aides publiques constituent pour les Etats membres de l'Union Européenne la dernière prérogative leur permettant d'intervenir dans l'économie de la façon la moins indirecte possible, ce domaine n'appartient pas pour autant à ce qui aurait pu être présenté comme un sanctuaire de l'activisme économique étatique. Les aides d'Etat, indifféremment appelées aides publiques, sont strictement encadrées par le Traité instituant la Communauté européenne (ci-après indiqué « TCE »), tel qu'interprété par la Commission sous le contrôle de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE). Cette dernière en la matière exerce son office en tendant à un équilibre entre un contrôle sur les avantages que les Etats peuvent accorder à certaines entreprises – afin que ceux-ci ne troublent pas la libre concurrence – et le respect de la liberté des Etats de mener leur propre politique économique et sociale.
Le Centre d'exportation du livre français (CELF) est une entreprise de droit privé chargée d'une mission de service public relative à l'exportation par petites commandes de livres en langue française vers l'étranger. Afin de couvrir le coût de ces envois, le Ministère de la Culture a octroyé une subvention au CELF de 1980 à 2002. Le maintien d'une telle subvention sera attaqué par un concurrent direct du CELF. Le Tribunal administratif de Paris donnera raison au requérant en première instance le 26 avril 2001 et se verra confirmer par la Cour administrative d'appel dans un arrêt rendu le 5 octobre 2004 qui considère que « si l'illégalité de l'aide allouée impliquait en principe la restitution des sommes versées depuis l'origine, il appartenait toutefois à l'Etat, en l'absence de toute décision des instances communautaires ordonnant cette restitution, d'apprécier si l'intérêt général ou des circonstances exceptionnelles étaient susceptibles d'y faire obstacle ».
Un pourvoi est formé devant le Conseil d'Etat qui sursoit à statuer le 26 mars 2006, renvoyant au juge communautaire deux questions préjudicielles présidant à l'issue du litige devant lui pendant. L'aspect le plus délicat des faits réside dans la triple affirmation de la compatibilité de l'aide par la Commission, chaque fois annulée par le Tribunal de première instance des communautés européennes – l'examen de la dernière déclaration de la Commission étant encore pendant. Le Conseil d'Etat souhaite faire le partage entre les différentes périodes de validité ou non de l'aide en question ; il requiert pour ce faire les lumières du juge communautaire.
Le Conseil d'Etat profite de cet arrêt pour faire le point sur l'articulation générale des rôles respectifs du juge national et de la Commission dans le cadre du contrôle de la compatibilité des aides d'Etat au droit communautaire. Ce mécanisme de contrôle est institué par l'article 88 TCE qui en confie la maîtrise à la Commission, seule compétente pour déclarer une aide compatible ou non au droit communautaire. En vertu du troisième paragraphe du même article, le juge national a pour seul rôle d'identifier les aides d'Etat au sens de l'article 87§2 TCE. Mais au-delà de cette compétence préalable, ce sera également à lui de tirer les conséquences des décisions de la Commission, puis éventuellement du juge communautaire, notamment lorsque, comme par deux fois en l'espèce, celui-ci annule la déclaration de compatibilité prise par la Commission. L'aide est alors illégale et le juge interne doit permettre la restitution effective des sommes versées, conséquence de l'illégalité de l'aide. C'est sur cet aspect contentieux que portent les deux questions préjudicielles du juge administratif français tendant à délimiter la portée de l'obligation de restitution de l'aide illégale et, dans l'affirmation d'une telle obligation, la définition des modalités de calcul de la somme réelle à rembourser finalement. Plus qu'une simple question de répartition des compétences, il s'agit bien ici de questionner l'office du juge interne en matières d'aides d'Etat à l'épreuve des compétences des autorités communautaires.
L'analyse démontre que le juge interne dispose de prérogatives en amont du contrôle de la Commission qui peuvent souffrir ses velléités extensives mais en toute apparence, cette souplesse visible de définition du rôle du juge étant en réalité parfaitement encadrée par le droit communautaire au sens large. Mais son office se retrouve épuré de ses possibilités d'adapter ses décisions à l'opportunité de l'espèce en aval de l'intervention communautaire : le juge interne devient le juge de l'exécution du droit communautaire.
S'il est constant que l'office du juge interne en amont du contrôle de la Commission se caractérise par une malléabilité qui reste encadrée (I), son office en aval de l'intervention communautaire ne permet plus la moindre considération d'opportunité (II).
[...] Le juge a pu préciser que le critère de l'importance de l'aide ou de l'entreprise n'entrait pas en compte dans la qualification (CJCE 1987 Commission France). De même l'aide doit-elle être spécifique, c'est-à-dire qu'elle ne doit pas consister en une mesure générale applicable à toutes les entreprises d'un secteur économique déterminé. C'est bien le cas en l'espèce, l'objet même du litige est la revendication d'une distorsion des rapports de concurrence par un opérateur du même secteur que le CELF. En l'occurrence, il s'agit de subventions versées directement par le Ministère de la Culture à un opérateur privé investi d'une mission de service public. [...]
[...] Il ne s'agit pas d'une compensation mais bien d'une aide soumise à l'obligation de notification. Le juge n'a pas les mains libres dans ce contrôle, il se contente d'appliquer scrupuleusement les conditions de la jurisprudence Altmark pour constater, en l'espèce, que les exigences procédurales n'ont pas été respectées. Ce défaut rend sa qualification d'aide à la subvention, aide qui redevient illégale du fait de son défaut de notification. Le Conseil d'Etat semble insisté sur la qualité de ce contrôle qui s'exerce à la fois sur les conditions juridiques que nous venons d'examiner mais également à l'aune des faits de l'espèce. [...]
[...] Selon les termes du Traité ainsi rappelés dans l'arrêt CELF, c'est au juge national de déterminer s'il est en présence d'une aide d'Etat, la Commission se contentant de se prononcer sur la compatibilité de celle-ci avec le marché commun. Pour autant le juge national n'est pas libre dans sa détermination. Il reste fortement encadré par la jurisprudence communautaire. Celle-ci a délimité les caractéristiques des aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat selon le Traité. Ainsi le Traité considère que cette aide pour être qualifiée d'étatique doit affecter les échanges entre Etats membres. [...]
[...] En effet, appliquer la prescription décennale aux aides versées il y a plus de dix ans au CELF revient à vider de toute substance l'obligation de notification dès lors qu'elle ne sera plus sanctionné au bout d'une attente de dix années. Empêcher l'application de cette prescription permet d'assurer l'application de la sanction nécessaire au maintien de l'obligation de notification qui constitue le lien, le ciment de tout le système communautaire de contrôle des aides d'Etat. Il ne semble pas hasardeux de voir derrière le raisonnement du Conseil d'Etat une notion peut être proche de la bonne foi. [...]
[...] Le TPICE avait d'abord, en 1997, assimilé ces compensations à des aides d'Etat dans leur nature, bien qu'elles soient ensuite souvent déclarées compatibles avec le marché commun. Toutefois l'incidence procédurale d'une telle qualification n'est pas négligeable : ces aides sont dès lors soumise à l'obligation de notification de l'article 88§3 TCE et au contrôle préalable de la Commission. Par un heureux revirement de jurisprudence, la CJCE a admis qu'il ne s'agissait là que de simples mesures compensatoires différentes des aides d'Etat, d'abord dans un arrêt du 22 novembre 2001, Ferring SA et ACOSS. [...]
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