En ces temps de débat sur l'identité nationale, en France, ou de votation citoyenne contre les minarets, en Suisse, on ne peut que constater que les préjugés de tous ordres continuent de pervertir les relations humaines. Leur histoire est fort longue, et s'il n'est pas question ici d'établir une « hiérarchie des horreurs », on peut néanmoins s'accorder sur le fait que la Deuxième Guerre Mondiale (1939-1945) en fût un des paroxysmes.
Cet apogée entraîna, heureusement, une réaction inverse, par laquelle les hommes entendirent réaffirmer l'égale dignité de tous les êtres humains : c'est le mouvement des « déclarations de droits », au premier chef duquel on trouve la Déclaration Universelle des droits de l'Homme réalisée dans le cadre des Nations Unies dès 1948, mais qui recouvre également des déclarations nationales, avec par exemple le Préambule de la Constitution française de 1946. La « société européenne » réussi même à s'entendre au sein d'un nouveau « Conseil de l'Europe » pour signer le 4 novembre 1950, à Rome, la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales (« CEDH »).
Mais, pour répondre à ces préjugés, encore faut-il que ces droits soient accordés « à toute personne » (cf. article 1 CEDH), c'est-à-dire sans distinction de race, religion, naissance, etc. Pour assurer cette effectivité, les rédacteurs du texte conventionnel ont pris le soin d'insérer un article 14, que le Protocole 11 titrera « interdiction de discrimination », ce dernier terme étant considéré comme la traduction juridique de ces distinctions « arbitraires ». Et la Cour Européenne des Droits de l'Homme, organe juridictionnel garant de la Convention, se saisira rapidement de cette clause de non-discrimination (...)
[...] L'article 14 n'interdit pas d'éventuelles distinctions de traitement dans l'exercice des droits et libertés. L'interdiction concernent uniquement les distinctions arbitraires, qui seules constituent une discrimination : de sorte que si le motif justifiant une distinction est pertinent, il n'y a pas discrimination .En effet pour qu'il y'ait discrimination il faut que la distinction manque de justification objective et raisonnable. Dans l'affaire «linguistique belge la Cour européenne des droits de l'homme estime qu'une distinction ne constitue pas une discrimination si elle poursuit un but légitime et si elle se caractérise par un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. [...]
[...] Parce qu'il diffère du contrôle plutôt formel que la Cour réalise dans le cadre des restrictions apportées aux droits garantis par la Convention. On pense notamment à l'article 8 de la CEDH qui renferme dans son alinéa 2 une liste de buts légitimes pouvant justifiée l'ingérence de l'Etat dans le respect de la vie privée et familiale. En réalité, cet alinéa 2 de l'article 8 est une clause d'ordre public qui laisse aux États une large marge de manœuvre et leur permet donc d'agir comme bon leur semble . Du coup, le contrôle de la Cour sera plutôt formel. [...]
[...] Sur ce point, la décision la plus illustrative est sans doute l'arrêt Rasmussen c. Danemark du 28 novembre 2004. Dans cette affaire, la Cour se fonde sur l'existence d'une marge d'appréciation au profit des Etats et l'absence de dénominateur commun entre eux pour juger proportionnée la différence de traitement entre pères et mères en ce qui concerne la mise en œuvre d'une instance en contestation d'une paternité. Par ailleurs, dans certains domaines souvent techniques, par exemple en matière de politiques économiques et sociales, la Cour reconnaît aux Etats une large marge d'appréciation en ne sanctionnant une différence de traitement que si elle est manifestement dépourvue de base raisonnable. [...]
[...] Plus récemment, dans une perspective constructive, la Cour européenne a modifié sa position en se ralliant à une conception substantielle de l'égalité qui évolue. La conception substantielle ou matérielle de l'égalité consiste à traiter de manière différente des situations semblables mais aussi à traiter de manières identiques des situations différentes. Ainsi, de nos jours, le juge européen prohibe au nom du principe de non discrimination le traitement arbitrairement identique de situations essentiellement différentes. Ce changement de conception de l'égalité illustre un des aspects que revêt la jurisprudence dynamique et constructive de la Cour. [...]
[...] La Cour de Cassation a devancé le Conseil d'Etat sur l'application de l'article 14 combiné avec l'article Prot 1 en utilisant le principe de non-discrimination tel qu'énoncé par la Convention dés 1999. La chambre sociale a été la première à prendre en compte la jurisprudence de la Cour européenne[36] concernant l'application de l'article 14 de la convention, pour prononcer des arrêts de cassation[37] ayant pour effet de faire bénéficier diverses prestations sociales aux étrangers. L'exemple de l'arrêt Bozkurt[38] est significatif, la chambre sociale n'hésitant pas à se référer à la Convention, telle qu'interprété par la Cour européenne dans l'arret Gaygusuz[39]. [...]
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