Cour de cassation, chambre criminelle, 29 juin 2021 - La seule violation d'une réglementation destinée à protéger l'intérêt collectif défendu par une association constitue-t-elle, en l'absence de dommage matériel, un préjudice indemnisable ?

Extraits

[...] Les associations dont l'objet est la protection de l'environnement visées à l'article L.142-2 du Code de l'environnement peuvent ainsi obtenir réparation du préjudice moral subi du fait de la violation d'une réglementation portant atteinte aux intérêts qu'elles défendent, et ce, même en l'absence de la réalisation d'un dommage découlant de cette violation. Il convient de se questionner sur la nature d'un tel préjudice. Lorsqu'une personne physique ou morale exerce une action civile en tant que victime directe, elle doit nécessairement démontrer un préjudice personnel, direct et certain. [...]

[...] Faut-il comprendre que la seule violation d'une réglementation cause un dommage présumé à l'association, sur lequel reposerait alors un préjudice présumé lui aussi ? Cette conception semble quelque peu contestable. La réparation du préjudice subi par les associations est admise « en l'absence de réalisation du risque que faisaient courir les effluents radioactifs fautifs ». En outre, l'association a la capacité d'agir en réparation du préjudice causé aux « intérêts collectifs » qu'elle défend. Dans le cas d'espèce, on pourrait se demander « qui » se cache derrière la dénomination « intérêts collectifs ». [...]

[...] On pourrait admettre que la Cour de cassation ait sciemment opéré la confusion en utilisant l'expression « intérêts collectifs » afin, de promouvoir largement la protection de l'environnement. Une confusion entre préjudice moral et préjudice causé aux intérêts collectifs défendus par l'association Les termes employés par la Cour de cassation, qui ne sont de toute évidence pas laissés au hasard, peuvent générer une certaine confusion chez le lecteur averti. En effet, alors que dans le neuvièmement de l'arrêt, la Cour fait référence au « préjudice moral que causent aux intérêts collectifs [ . [...]

[...] Bien qu'il puisse être surprenant sur le plan du droit qu'un préjudice puisse être constitué sans dommage, on perçoit clairement que cette solution se justifie surtout sur le plan de l'opportunité. L'arrêt s'inscrit incontestablement dans un vif mouvement de protection de l'environnement, sujet au cœur des préoccupations contemporaines. Cet arrêt permet d'étendre considérablement l'action des associations visées par l'article L.142-2 du Code de l'environnement et par la même occasion, de contraindre les potentiels « pollueurs » à respecter la réglementation en vigueur à peine d'être condamnés de manière presque certaine, à des dommages et intérêts indépendamment de la réalisation de tout dommage. [...]

[...] Les magistrats de la chambre criminelle évoquent le « préjudice moral que causent aux intérêts collectifs [ . ] le non-respect de la réglementation ». La Cour vise explicitement la notion « d'intérêt collectif ». Or, l'action des associations qui ont pour objet de protéger et de prévenir les atteintes à l'environnement défendent-elles réellement un « intérêt collectif » ? S'il est incontestable qu'une association dont l'objet est la défense des malades de la thyroïde poursuive effectivement un intérêt collectif regroupant toutes les personnes atteintes de cette pathologie, tel ne semble pas être le cas des associations dont la défense concerne directement l'environnement. [...]