« La révolution n'a pas eu lieu » estimait Michel RIVERO dans Le domaine de la loi et du règlement. On comprend qu'il évoque la révolution juridique de 1958 qui avait poussé les constituants, pour renforcer l'exécutif, à remettre radicalement en cause la hiérarchie des normes en donnant à la loi une définition matérielle, en constitutionnalisant la délégation législative et en instituant un contrôle de constitutionnalité des lois.
En effet, l'apparition des articles 34 et 37 illustre, entre autres, ce changement : alors que la compétence du Parlement constituait le droit commun et celle du gouvernement en matière législative l'exception toujours susceptible d'être remise en cause, désormais au contraire, la compétence du Parlement devient l'exception et celle du gouvernement le droit commun. Cette volonté d'encadrer le législateur se comprenait à l'aune du passé encore très proche de la IIIe République où la faiblesse et l'instabilité du régime étaient imputées à l'omnipotence parlementaire. Or la pratique de la Ve République ne laissera pas apparaître un partage des compétences si nettement tranché, cantonnant strictement la loi et le règlement dans leur domaine respectif et c'est précisément l'intérêt du sujet que de montrer en quoi la pratique constitutionnelle peut s'avérer éloignée d'une lecture stricte de la lettre du texte.
[...] On peut enfin considérer la position du Conseil d'État qui, dans son arrêt du 2 février 1983 sur l'union des transports publics et régionaux admet que le législateur puisse habiliter le pouvoir réglementaire à prendre des mesures relevant du domaine défini à l'article 34. Ainsi, on constate que les domaines ne sont pas imperméables et qu'il existe des circonstances ou même des dispositions constitutionnelles qui font état de ces aller-retour entre loi et règlement. Il est maintenant intéressant de se demander si ces pratiques sont conformes à l'esprit de la Constitution de 1958. B. [...]
[...] En effet, la loi traduisant la volonté générale, il ne faut pas perdre de vue sa supériorité par rapport au règlement. C'est cette conception, dont certains juristes sont encore imprégnés qui explique le décalage entre le texte et la pratique. Sachant que la loi est définie comme une règle de droit écrite, générale et permanente, élaborée par le Parlement et que le règlement est un acte de portée générale et impersonnelle édicté par les autorités exécutives compétentes, il est intéressant de se poser le problème de savoir comment s'effectue la délimitation du domaine de compétence de chacune de ces règles de droit partageant la fonction législative entre ses deux dépositaires : l'organe législatif et exécutif et de savoir comment et selon quels critères évolue ce partage. [...]
[...] En effet, d'une limite imposée par la Constitution, les membres des deux Conseils vont assouplir les règles afin que les parlementaires puissent en disposer plus librement. Plus globalement, on sait que les deux Conseils, dans leurs prises de position ont eu tendance à s'acheminer vers des mesures qui favorisent, revalorisent le domaine de la loi. Lors de l'élaboration de la Constitution, les articles 34 et 37 avaient été vivement critiqués au sein du Conseil d'État et du Comité consultatif constitutionnel dans la mesure où ils portaient atteinte au principe selon lequel le droit, dans tout régime démocratique, ne peut procéder que de la volonté du peuple ou de ses représentants. [...]
[...] Cependant, il convient de noter que ces protections sont moins efficaces que celles qui ont été mises en place pour protéger le pouvoir réglementaire étant donné que le Conseil d'Etat ne peut être saisi que dans les deux mois qui suivent sa promulgation et par un particulier ayant intérêt à la saisine. De plus, le Conseil d'État n'est enfermé dans aucun délai pour rendre ses arrêts et il n'est pas rare que des affaires traînent devant lui pendant quatre ou cinq ans. [...]
[...] Le problème n'est pas de savoir si le fait que la jurisprudence aille dans le sens d'une revalorisation de la loi est en soi un mal, mais plutôt de s'interroger sur la durabilité de telles positions étant donné que d'éventuels revirements de jurisprudence sont toujours possibles. Ainsi, le Conseil Constitutionnel a été amené à réagir face à cette dénaturation de la loi (résultat de l'intrusion massive de dispositions matériellement réglementaires dans les textes formellement législatifs) : depuis 2002 et surtout depuis les décisions du 29 juillet 2004 et du 21 avril 2005, il a décidé qu'un énoncé sans portée normative ne peut figurer dans la loi, car celle-ci se définit précisément par sa portée normative ; il censure en conséquence les décisions de ce type. [...]
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