Séparation des pouvoirs, mythe, puissance, imaginaire collectif, Montesquieu, Constitution, impératifs démocratiques, interprétations, fonctions étatiques, subordination, compétences, juriste, Sieyès, Esmein, Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale, totalitarisme, droits fondamentaux, équilibre, abus, arbitraire, Henry VIII
Toutefois, loin d'être un concept métaphysique ou performatif, la séparation des pouvoirs s'accompagne nécessairement d'une application pour prendre vie hors des textes constitutionnels, et force est de constater la pluralité de sa traduction dans la pratique des institutions. Il convient que parmi toutes ces interprétations, les nombreuses se sont soldées par l'échec du régime. On en déduit a fortiori que certaines formes de distribution du pouvoir ne coïncident pas avec les impératifs démocratiques. Cela mène à se questionner, d'une part, sur leur prétendue application dans les différents régimes et, d'autre part, sur l'efficacité de leur action pour se prémunir des abus des dirigeants. Le propre d'un mythe est de nourrir l'imaginaire collectif, de faire office de force agissante irréfragable par sa puissance évocatrice.
[...] Mais dans cette confrontation à propos de leur champ d'action respectif, on voit émerger l'organe judiciaire, longtemps évincé du débat de la séparation des pouvoirs, jugé « invisible et nul » par Montesquieu. En investissant toujours plus le champ public, il empiète sur des compétences qui ne lui incombent pas, et n'est pas le seul à succomber à ces griefs.Un objectif manqué : l'arbitraire des puissancesSimultanément à l'émergence du terme d' « État de droit », on a vu s'amplifier celui de « gouvernement des juges ». [...]
[...] En quoi la séparation des pouvoirs ne peut-elle être qu'un mythe ?Bien plus qu'une théorie juridique, c'est au titre de corrélatif indispensable à la démocratie qu'est désignée la séparation des pouvoirs. Conçue comme un arsenal contre le despotisme, cette idée émerge sous l'influence du constitutionnalisme, selon lequel libertés et pouvoirs sont antinomiques et pour protéger les premières, il est nécessaire de limiter les seconds. En réaction à l'omnipotence arbitraire de la monarchie absolue, des penseurs tels que Montesquieu, père putatif de la séparation des pouvoirs, diffusent la conception d'un ordre social et juridique ne privant personne de ses droits naturels, et ce grâce à une Constitution qui confierait les compétences étatiques à différents organes, a contrario de leur cumul aux mains d'un seul. [...]
[...] Le principe pourtant glorifié comme une « valeur en soi » pourrait en ce sens être mis en parangon avec le mythe de Prométhée, en tant que la séparation des pouvoirs ou l'ambition d'une organisation démocratique pour lutter contre la tyrannie, celle des dieux dans le mythe prométhéen, est à l'instar du feu, « providence des hommes », un privilège divin qui émancipe l'homme, mais se retourne également contre lui. À filer la métaphore, on constate que le châtiment associé à la captation d'un apanage inaccessible à l'homme se solde par un châtiment dans lequel son excès d'hybris est voué à être répétitivement puni par le dévouement du foie, soit l'échec fatal du régime. [...]
[...] Par ailleurs, la fragmentation de la fonction législative et son partage avec l'organe exécutif au nom de l'équilibre des pouvoirs auraient dans de nombreux régimes précipité le déclin du parlement, réduit parfois au statut de chambre d' « enregistrement » ou d'assemblée consultative. Le phénomène de personnalisation du pouvoir couplé à la demande d'un État-providence, s'appuyant sur une « technostructure administrative » selon les mots de J.K.Galbraith, préfigure ce qui ressemble à la prédominance d'un organe. Non seulement le Parlement délègue des pans du pouvoir législatif à l'exécutif, mais ce dernier acquiert de plus en plus une faculté de direction, d'orientation de la procédure législative, au point même de pouvoir dans certaines circonstances outrepasser l'organe supposé exercer la fonction souveraine en légiférant sans son consentement, par la force, comme en témoignent l'article 49.3 de la Constitution française ou les clauses Henry VIII au Royaume-Uni. [...]
[...] À défaut d'avoir prémuni contre la monarchie, la séparation des pouvoirs n'a en rien protégé contre les abus divers. Elle apparait comme une condition nécessaire à la démocratie dans son acception stricte, mais vouée à être insuffisante, car les fonctions ont beau être séparées, ceux qui les exercent trouvent un moyen de les contourner et de les outrepasser au mépris des libertés supposément préservées par cette même séparation des pouvoirs. « Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser », reconnait Montesquieu. [...]
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