Le contexte juridique actuel est caractérisé par une inflation juridique notable. C'est du moins le cas en France où de très nombreuses lois sont votées chaque année, venant compléter le droit positif de manière de plus en plus précise. Ainsi les domaines du droit sont de plus en plus spécifiques et par là même obscurs, car souvent difficile à comprendre. C'est ce qui rend essentielle l'existence d'un juge relativement puissant qui puisse concrétiser le droit, afin de rendre les jugements nécessaires au bon fonctionnement de la société. Juger est en effet la fonction essentielle du juge qui doit toujours trancher un litige entre plusieurs partis en distribuant les torts et concrétisant les droits.
Seulement cette concrétisation se fait-elle de manière automatique ou est-elle conditionnée par l'interprétation que le juge fait du droit ? En fait la question se pose de savoir si le juge doit plutôt se soumettre à la loi plus générale qui guiderait ses jugements, ou s'il est vraiment un être moral qui a la possibilité de prendre "la" décision juste. Nous verrons les limites de ces deux idées dans le cadre du contexte juridique français qu'on a décrit.
Aujourd'hui la nécessité d'un pouvoir fort du juge se fait davantage ressentir à cause de la particularisation du droit de plus en plus complexe et changeant. Néanmoins qu'en est-il de la puissance de la loi elle-même, et des éventuels contre-pouvoirs opposables aux juges ? La puissance contraignante du droit lui vient-elle avant tout de la légitimité que lui donne la loi, ou de l'effectivité que lui apporte le juge ? Ainsi la toute-puissance du juge décriée dans l'idée d'un "gouvernement des juges" est sans doute exagérée. C'est ce que nous verrons d'abord en précisant les limites de cette puissance, dans l'instrumentalisation du juge par la loi qui lui est supérieure. Nous verrons cependant ensuite quelle envergure peut prendre cette puissance au-delà du cadre qui la définit, et à travers une description de la nécessité de voir le juge comme un acteur plutôt que comme un instrument.
[...] Ici la volonté du juge ne s'exprime absolument pas et il n'est finalement qu'un instrument au service de la loi. Le juge doit en effet se contenter d'appliquer la loi de manière objective et automatique, car celle-ci est parfaitement légitime. C'est le positivisme législatif pour lequel l'ensemble du droit positif (qui est simplement posé) est légitime. On peut aussi penser là à Kelsen pour qui chaque loi est tire sa force "du fait qu'elle est loi", dans un système où les normes juridiques sont hiérarchisées, mais où n'intervient absolument pas la morale. [...]
[...] L'idée que le juge est moral ou aspire à la justice, transforme donc facilement son pouvoir en contrainte de juger. Juger donne un certain pouvoir qui semble néanmoins s'exprimer avant tout comme un devoir exigeant du point de vue de la moralité et de la justice. Encore une fois c'est loin d'être la volonté propre du magistrat qui s'exprime dans le jugement. On a d'abord vu qu'il pouvait s'agir de la volonté générale, et ici c'est plutôt une volonté objective de justice à laquelle doit se conformer le juge. Comme la loi cette volonté a une valeur a priori. [...]
[...] Ils contraignent dès lors le juge dans ses décisions, car celles-ci doivent respecter la justice absolue des Droits de l'Homme, même si celle-ci demeure difficile à définir concrètement. C'est ainsi qu'en France le Conseil de Constitutionalité a été créé en 1958, et en 1971 la Déclaration des droits de l'Homme obtenait une valeur contraignante. L'idée des droits de l'homme nous permet donc aussi de revenir sur l'idée de hiérarchie des normes abordée avec Kelsen. Au lieu de placer dans l'État la norme absolue, on peut en effet voir ici l'illustration du droit le plus absolu dans les Droits de l'Homme. [...]
[...] Ces principes ont beaucoup inspiré la rédaction du Code Civil. En effet, les révolutionnaires ont été très marqués par l'héritage de Rousseau, et la neutralité du juge est un principe que Napoléon a voulu conserver parmi l'héritage révolutionnaire. Le Code Civil de 1804 précise donc à l'article 5 : "Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises." C'est l'expression même de ce qu'on a décrit, à savoir que les juges doivent se cantonner au rôle d'instrument exécutif de la loi. [...]
[...] Cette fragmentation du pouvoir des juges rend d'autant plus difficile la description de ce pouvoir, qu'il n'est pas le même chez tous les juges. Il en va de même lorsqu'on s'attache à la distinction française entre les juges administratifs et les juges civils. Ainsi comme l'a bien exprimé l'arrêt Blanco l'État ne peut pas être jugé par un juge civil, car le droit de l'État doit être construit sur la notion d'intérêt général. Dans les deux cas, le juge n'est compétent que dans son domaine (droit civil ou droit public), auquel est circonscrit son devoir. [...]
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