L'ordre public, Maurice Hauriou, matériel et extérieur, liberté d'expression, Dieudonné, Conseil d'Etat
L'« affaire Dieudonné » a mis en émoi la doctrine juridique française, tantôt fustigeant un trouble évident à l'ordre public, tantôt critiquant l'éventuelle partialité du Conseil d'Etat et sa restriction contestable de la liberté d'expression. L'interdiction par les préfets concernés de la plupart des spectacles controversés, pour trouble sérieux à l'ordre public, a été jugée légale par le Conseil d'Etat, dans une décision en date du 11 janvier 2014, inédite puisque faisant des mots un facteur de trouble à l'ordre public, entendu cette fois comme un trouble à la dignité humaine quant à l'antisémitisme caractérisant les propos prononcés. Une telle décision, en plaçant des propos au même rang que des actes, et en donnant de la dignité humaine une énième interprétation, témoigne du caractère très évolutif de la notion d' « ordre public ».
[...] L'ordre public est-il toujours, selon la célèbre formule de Maurice Hauriou, matériel et extérieur ? L'« affaire Dieudonné a mis en émoi la doctrine juridique française, tantôt fustigeant un trouble évident à l'ordre public, tantôt critiquant l'éventuelle partialité du Conseil d'Etat et sa restriction contestable de la liberté d'expression. L'interdiction par les préfets concernés de la plupart des spectacles controversés, pour trouble sérieux à l'ordre public, a été jugée légale par le Conseil d'Etat, dans une décision en date du 11 janvier 2014, inédite puisque faisant des mots un facteur de trouble à l'ordre public, entendu cette fois comme un trouble à la dignité humaine quant à l'antisémitisme caractérisant les propos prononcés. [...]
[...] Finalement, il convient de constater que le Conseil d'Etat a fait évoluer récemment sa jurisprudence, en intégrant la moralité publique dans l'ordre public, mais seulement de manière imparfaite, puisque la protection de la moralité publique n'est que le fait de circonstances particulières et locales. Il est impossible de déduire de cette jurisprudence une volonté claire de placer la moralité publique au même rang que la sécurité, tranquillité et salubrité publiques, et donc d'établir un réel ordre public moral. Cependant, à partir de 1995, le Conseil d'Etat va établir une réelle avancée, très contestée, vers cet ordre public moral, en consacrant au titre d'une composante de l'ordre public la dignité humaine. [...]
[...] La moralité, si elle peut dans certaines circonstances être protégée, ne l'est pas en temps que composante de l'ordre public, qui de ce fait, reste exclusivement matériel et extérieur. Pourtant, à partir de la seconde moitié du XXème siècle va se développer une jurisprudence toujours plus émancipée des seuls textes législatifs, élargissant grandement la notion d'ordre public, au point que l'on puisse aujourd'hui parler d'ordre public moral II. Une jurisprudence émancipée des textes : la consécration d'un ordre public moral La notion d'ordre public moral semble contradictoire en ce que l'ordre public est d'ordinaire séparé des bonnes mœurs, à l'article 6 du Code civil par exemple. [...]
[...] Une telle argumentation sera reprise par le Conseil d'Etat dans un arrêt en date du 5 janvier 2007, Ministre de l'Intérieur Assoc. Solidarité des français : la distribution d'une soupe au cochon aux nécessiteux est considérée comme discriminatoire est de ce fait attentatoire à la dignité humaine des personnes dont les religions leur interdisent de s'en procurer. Il semble donc enfin que l'ordre public, s'il est matériel et extérieur, s'est enrichi de la dignité humaine et dans une moindre mesure, de la moralité publique, parvenant ainsi à un ordre plus moral que ce qu'en font les lois de 1884 et de 1996. [...]
[...] Le Conseil d'Etat, au début du XXème siècle, va faire application de cette théorie d'interprétation stricte, ce qui aura deux corollaires. D'une part, le Conseil d'Etat va refuser de protéger la moralité publique, en déclarant illégaux tous les arrêtés pris par les autorités de police administrative visant à protéger l'ordre public alors que la seule moralité publique est en cause. D'autre part, en conséquence, il ne déclarera légaux de tels arrêtés que lorsque l'immoralité a des conséquences concrètes sur l'ordre public, preuve que cette immoralité n'est pas en elle-même un trouble à l'ordre public. [...]
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