Les termes du sujet opposent LES nationalisations, LA propriété privée et LA liberté d'entreprendre, c'est-à-dire, d'une part, une technique d'intervention que l'Etat a utilisé à plu-sieurs reprises, notamment lors de ce que l'on appelle les vagues de nationalisation (Front popu-laire, immédiat après-guerre et début du premier septennat Mitterrand) et, d'autre part, deux prin-cipes abstraits.
Par conséquent, la question des rapports entre ces différentes notions ne se pose pour le juriste que lorsque des opérations de nationalisation sont en cours, et donc se confrontent directement à la propriété privée et à la liberté d'entreprendre. Autrement, la question n'a d'intérêt que pour l'histoire du droit. Quel serait l'intérêt d'étudier aujourd'hui les rapports entre nationalisations, propriété privée et liberté d'entreprendre, alors même que l'heure est davantage à la privatisation et à l'instauration de relations moins conflictuelles entre l'Etat et les acteurs économiques ?
En réalité, il en est sans doute de la nationalisation comme de tous ces phénomènes qui paraissent à un moment de l'histoire dépassés, jusqu'au jour où ils resurgissent, par un mouvement de ba-lancier entre interventionnisme et libéralisme. Tantôt est donné le primat à l'interventionnisme et à la réglementation tantôt au le libéralisme et à la déréglementation. Ainsi, les avantages compa-rés de la propriété publique ou de l'entreprise privée réapparaissent à intervalles réguliers et il n'est pas exclu que le système de la nationalisation réapparaisse.
Dans un rapide regard sur l'actualité de ce début 2006, il est même frappant de constater la vitali-té de cette question des nationalisations : Evo Morales, le nouveau président de Bolivie, a suscité l'inquiétude des acteurs économiques, en annonçant son intention de nationaliser le secteur ga-zier. Vladimir Poutine s'est défendu, lors de sa grande conférence de presse annuelle au Kremlin, le 31 janvier 2006, de procéder à une vague de nationalisation de l'économie russe. Dominique Strauss-Kahn, dans ses 15 propositions pour la France, a proposé en février un mécanisme de « nationalisations temporaires ». La secte Ere Nouvelle a promis à ses adeptes, lors de ses vœux pour l'année 2006, qu'il « y aura en 2006 des projets merveilleux : des politiques de nationalisa-tion vont commencer ».
Au-delà de ces anecdotes révélatrices, les nationalisations ont, pour le juriste, un intérêt évi-dent de par les liens indissolubles qu'elles entretiennent avec l'étude de la propriété privée et de la liberté d'entreprendre. Il est ainsi intéressant de constater que si, depuis 1991, aucune thèse disponible à la bibliothèque Cujas ne traite directement des nationalisations, celles-ci sont traitées de façon incidente dans de nombreuses thèses consacrées à l'étude de la propriété privée et de la liberté d'entreprendre (voir celle de Véronique Delvolvé citée en bibliographie).
Une fois l'intérêt du sujet posé, il convient d'analyser la conciliation, en France, entre nationali-sations, propriété privée et liberté d'entreprendre : quel est le principe de cette conciliation ? Co-mment est-elle rendue possible ? Et quelle est son étendue ?
Le constat de départ est une platitude : la conciliation n'est pas simple. En effet, si le juge consti-tutionnel est parvenu à en déterminer le principe, c'est au prix d'un difficile équilibre entre considérations politiques, inévitables du fait de la question à résoudre, et considérations juridi-ques, nécessaires car il n'est pas législateur (I). Dans ce souci de ne pas porter atteinte aux sou-haits du législateur tout en développant sa propre analyse doctrinale, l'application de cette conci-liation par le juge constitutionnel est pragmatique : il ne lâche rien sur l'essentiel (les principes de conciliation sont posés, et des gardes fous les surveillent), mais sait se montrer dans la pratique très malléable (les principes de conciliation sont entendus avec souplesse, et les gardes fous sont plus théoriques qu'autre chose) (II).
[...] Le Conseil constitutionnel se reconnaît le droit de contrôler l'appréciation portée par le législateur quant à l'existence de la nécessité publique justifiant les nationalisations de 1982. Mais il se contente de relever que le législateur a entendu fonder ses nationalisations sur le fait qu'elles étaient nécessaires pour lutter contre la crise économique, promouvoir la croissance et combattre le chômage. Il précise que ce contrôle ne sera que minimum, vérifiant si le législateur, dans l'identification de la nécessité publique, n'a pas commis une EMA. [...]
[...] Encore faut-il constater une certaine évolution récente du Conseil constitutionnel en la matière : le Conseil semble s'acheminer vers un renforcement de la protection constitutionnelle accordée au droit de propriété. Il ne semble ainsi plus admettre la possibilité de soumettre le droit de propriété à un régime d'autorisation préalable (CC déc 436 DC) ; tout comme il considère comme une dénaturation du droit de propriété le fait de contraindre un créancier à devenir propriétaire d'un bien immobilier sans qu'il ait entendu acquérir ce bien au prix fixé par le juge (CC juillet 1998, 403 DC). Le même constat est concevable pour la liberté d'entreprendre. [...]
[...] Ainsi, les dispositions particulières du Préambule de 1946 relatives aux nationalisations, de même que l'attribution de compétence par l'art ne rendent pas inapplicables les principes de 1789 aux nationalisations. Le Conseil Constitutionnel reconnaît seulement qu'il y a une évolution du droit de propriété dans ses finalités et ses conditions d'exercice que cette évolution a étendu le champ d'application de ce droit et qu'elle a introduit des limitations exigées par l'intérêt général Dans la décision du 16 janvier 1982, le conseil constitutionnel admet que les nationalisations entrent bien dans le champ des prévisions de la notion de privation de propriété au sens de l'article 17 de la DDHC et qu'un contrôle doit donc être exercé sur ces opérations sur la base de cet article. [...]
[...] Cela nous conduit à distinguer la nationalisation de la publicisation. A la privatisation (transfert d'entreprise de la propriété publique à la propriété privée) s'oppose la publicisation (transfert d'entreprise de la propriété privée à la propriété publique), et non la nationalisation. La nationalisation n'est qu'une technique -la plus extrême car le transfert de propriété y est unilatéral et forcé- de la publicisation. Une entreprise peut donc devenir publique sans être nationalisée La nationalisation est un acte politique et idéologique De ce fait, dans leur finalité, les nationalisations sont des actes politiques, qui procèdent d'une conception idéologique sur la place et le rôle de la propriété publique par rapport à la propriété privée. [...]
[...] La nationalisation comme acte de puissance publique Les petites affiches, 141, p Pierre Bon, Les nationalisations dans la jurisprudence constitutionnelle de l'Europe de l'Ouest Revue française de droit constitutionnel, 17, p Véronique Delvolvé, La liberté d'entreprendre, thèse de doctorat sous la direction d'Yves Gaudemet, Université Panthéon-Assas Les termes du sujet opposent LES nationalisations, LA propriété privée et LA liberté d'entreprendre, c'est-à-dire, d'une part, une technique d'intervention que l'Etat a utilisé à plusieurs reprises, notamment lors de ce que l'on appelle les vagues de nationalisation (Front populaire, immédiat après-guerre et début du premier septennat Mitterrand) et, d'autre part, deux principes abstraits. Par conséquent, la question des rapports entre ces différentes notions ne se pose pour le juriste que lorsque des opérations de nationalisation sont en cours, et donc se confrontent directement à la propriété privée et à la liberté d'entreprendre. Autrement, la question n'a d'intérêt que pour l'histoire du droit. [...]
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