« Définir le domaine de la loi, ou plutôt du Parlement, ce n'est pas réduire la vie parlementaire, c'est également, par détermination des responsabilités du gouvernement, assurer entre le ministère et les assemblées une répartition nécessaire des tâches ». Cet extrait du discours de Michel Debré prononcé devant le Conseil d'Etat le 27 août 1958, illustre la volonté des constituants de la Vème République de délimiter les domaines de la loi et du règlement. Tout d'abord, la Constitution définit, par un critère organique puis par un critère matériel (articles 34 et 37 de la Constitution), la loi et le règlement. Ensuite, la Constitution opère une délimitation des compétences des normes. Pour la loi, le domaine de celle-ci est délimité par une liste de matières dans laquelle sont distinguées les matières où la loi fixe les règles et les matières où la loi fixe les principes fondamentaux. Cependant, le Conseil constitutionnel (décision du 27 novembre 1959) et le Conseil d'Etat (arrêt Meyet du 3 juillet 1996) ont donné une portée identique à ces deux notions. Pour le règlement, la Constitution distingue le règlement d'application et le règlement autonome.
Cependant, dans une logique de décentralisation des pouvoirs, une révision constitutionnelle du 28 mars 2003 est venue établir un certain nombre de mécanismes d'intervention permettant aux collectivités territoriales d'intervenir à la place des autorités normatives nationales. Premièrement, cette révision constitutionnelle consacre le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales. Elles peuvent ainsi édicter des normes générales et impersonnelles avec un statut différent de celui des lois. Deuxièmement, la révision constitutionnelle crée l'expérimentation législative et réglementaire même si cette pratique existait déjà avant 2003 mais n'était pas reconnue par la Constitution. Troisièmement, la révision constitutionnelle consacre au législateur le pouvoir d'autoriser des expérimentations dans le domaine de la loi. Il lui était impossible d'accorder de telles autorisations antérieurement à cause de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (Décision 2001-454 DC du 17 janvier 2002 portant sur la loi relative à la Corse). Quatrièmement, la révision constitutionnelle réforme le cadre juridique de l'Outre-mer. Elle tend en outre à autoriser l'élaboration de statuts permettant de prendre en compte la diversité des situations et des aspirations de ces collectivités. Elle définit ainsi deux catégories juridiques relevant respectivement des articles 73 (les Départements et Régions d'Outre-mer : les DOM et les ROM composés de la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion) et 74 de la Constitution.
En 1982, les parlementaires ont souhaité appliquer la régionalisation en créant une collectivité unique exerçant à la fois les compétences du département et de la région, mais cette solution fut invalidée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°82-147 DC du 2 décembre 1982. La loi du 31 décembre 1982 institua aussi, à côté de chaque département et sur le même territoire, des Régions d'Outre-mer (ROM).
Ces deux collectivités sont soumises au principe d'assimilation législative énoncé par l'alinéa 1 de l'article 73 qui implique l'applicabilité directe des lois de la métropole sur leurs territoires. Cependant, celui-ci est tempéré par un certain nombre de réserves en application de la loi organique n°2007-223 du 21 février 2007. En effet, les DOM et les ROM disposent de mécanismes d'intervention propres, parallèlement aux mécanismes communs à l'ensemble des collectivités territoriales, qui vont leur permettre de supplanter le législateur ou le pouvoir réglementaire national.
Cette étude s'avère intéressante puisqu'elle permet d'apprécier une certaine remise en cause du principe d'Etat unitaire ou d'indivisibilité de l'Etat (exposé par la Constitution) par la logique de décentralisation (elle aussi exposée par la Constitution), d'où ce « paradoxe ». Cette remise en cause sera donc exposée par le transfert de mécanismes d'intervention d'origine national qui sont aujourd'hui réservés aux collectivités territoriales.
Ainsi nous nous demanderons en quoi les collectivités territoriales (les DOM et les ROM) sont-elles le fruit d'une logique de décentralisation par l'acquisition, au dépourvu des pouvoirs législatifs et réglementaires nationaux, de mécanismes d'intervention qui restent cependant contrôlés ?
Codifiées dans le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), les mesures « décentralisatrices » des lois organique de 2003 (Loi organique n°2003-704 du 1eraoût 2003) mais surtout de 2007 (loi organique n°2007-223 du 21 février 2007) prévoient tout d'abord un transfert de compétences, appartenant initialement au pouvoir normatif national , au profit des DOM et des ROM (I). Ensuite, ces lois organiques n'envisagent tout de même pas une libre administration des collectivités territoriales sur les nouvelles compétences qui leur ont été attribuées et prévoient donc un arbitrage de l'exercice de ces compétences (II)
[...] Par conséquent, cette compétence du législateur suppose un double contrôle de l'exercice des mécanismes d'intervention des collectivités territoriales. Premièrement, le législateur peut être la première autorité nationale à opérer un contrôle par voie d'action sur la procédure d'adaptation d'une norme nationale ou d'adoption d'une norme locale par les collectivités territoriales. En effet, il a le pouvoir de fournir aux collectivités un pouvoir d'adaptation ou d'adoption en édictant une loi d'habilitation en réponse à la demande d'habilitation adoptée par la délibération du conseil général ou régional. [...]
[...] Les mécanismes d'intervention des collectivités territoriales, la place du législateur ou du pouvoir réglementaire national réservée aux Départements d'Outre-mer et aux régions d'Outre-mer Définir le domaine de la loi, ou plutôt du Parlement, ce n'est pas réduire la vie parlementaire, c'est également, par détermination des responsabilités du gouvernement, assurer entre le ministère et les assemblées une répartition nécessaire des tâches Cet extrait du discours de Michel Debré prononcé devant le Conseil d'État le 27 août 1958, illustre la volonté des constituants de la Vème République de délimiter les domaines de la loi et du règlement. [...]
[...] Ces contrôles concernent tout d'abord les mécanismes d'adaptation des normes nationales et d'adoption des normes locales. En effet, le gouvernement et le Parlement, en qualité de créateur de règlement et de législateur, sont compétents pour modifier par une loi ou par un règlement les dispositions législatives ou réglementaires des délibérations prises sur le fondement de l'habilitation que si celle-ci le prévoit (articles LO 3445-8 ; LO 3445-11 ; LO 4435-8 ; et LO 4435-11 du CGCT). Ce contrôle repose sur l'action créatrice de normes de ces deux institutions nationales. [...]
[...] Ce pouvoir d'adaptation en tant que mécanisme d'intervention des DOM et des ROM reste cantonné à la sphère de compétence des départements et régions. Aussi, le fait de demander une habilitation, de la motiver, d'en préciser son contenu et sa finalité et même d'en prévoir son éventuelle caducité exprime un souhait qui, par ces contraintes, empêche une généralisation de la pratique. Cependant, il faut noter une importante évolution croissante des possibilités d'adaptation : autrefois, l'article 73 qui faisait référence à la situation particulière des DOM et des ROM tandis qu'aujourd'hui, par une influence de l'article 299-2 du traité d'Amsterdam, le nouvel article 73 permet aux DOM et aux ROM d'adapter les normes nationales en considération de leurs caractéristiques et contraintes particulières Ce principe d'assimilation législative est donc amoindri au profit du principe d'adaptation. [...]
[...] Le Conseil d'État reçoit donc de la part du législateur une compétence exclusive qui illustre par excellence, du fait que ce contrôle se fasse par voie de recours, le contrôle par voie d'exception. Que se soit pour l'adaptation de normes nationales, pour l'adoption de normes locales ou par expérimentation, les contrôles par voie d'exception figurent dans les possibilités de contrôle sur les mécanismes d'intervention réservés aux DOM et aux ROM. Majoritairement utilisés par le Conseil d'État, ces contrôles par voie d'exception sont une partie intégrante de la logique de décentralisation opérée par les lois organiques 2003-704 du 1er août 2003 et 2007-223 du 21 février 2007. [...]
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