La IIIe République en France possède la double distinction d'avoir été, jusqu'à maintenant, le plus long régime de l'après 1789, mais également l'un des plus instables. Contrastant avec la stabilité remarquable du texte constitutionnel — trois modifications seulement en soixante-cinq années — la pratique fait apparaître une succession frénétique de ministères, lors même que toutes les mandatures législatives sont allées à leur terme, sauf celle de 1876.
Ce sont ainsi près de cent cinq gouvernements différents qui se sont succédés entre 1875 et 1940, soit une moyenne de sept mois et demi par gouvernement… Le plus long de tous, le ministère Waldeck-Rousseau, a duré trois années seulement. Certaines législatures, comme la XIVe ou la XVe, ont vu se succéder onze gouvernements différents, dont certains ne durèrent que quelques jours. On constate donc sans peine que les ministères, sous la IIIe République, sont caractérisés par une véritable instabilité.
Cette instabilité est un problème politique majeur, qui ne fit que s'amplifier avec le temps. On est en présence, quand on regarde la pratique constitutionnelle, d'un régime qui tend de plus en plus au régime d'assemblée. Pourtant, la lecture des lois constitutionnelles de 1875 dément une telle vision.
[...] Pour eux, il est impensable que le président de la République puisse dissoudre la représentation nationale. Privé du droit de dissolution, privé de prérogatives propres le chef du gouvernement ne dispose même pas d'un service administratif pour l'assister le pouvoir exécutif, personnifié par le président du Conseil et le ministère, est donc livré aux mouvements des chambres, sans pouvoir y faire face. Ces derniers n'ont aucun moyen de pression sur le parlement, qui ferait contrepoids à la responsabilité ministérielle. Pire encore, si le gouvernement est nommé par le président de la République du moins si le président du Conseil est nommé par lui, et les ministres choisis par le chef du gouvernement puis nommés par le chef de l'État bien souvent, les partis politiques imposent leurs noms à la tête des ministères, ce qui empêche la création de cabinets homogènes et vraiment solidaires. [...]
[...] Enfin, la faiblesse des coalitions de gouvernement, et leur volatilité, s'explique aussi par la disparition de la dissolution, qui aurait représenté une menace suffisante pour maintenir l'unité d'une majorité. Nous y reviendrons Un parlement qui contrôle sans cesse le gouvernement Concrètement, l'instabilité ministérielle provient du contrôle permanent du gouvernement par le parlement. En effet, l'article 6 de la loi du 25 février 1875 dispose que Les ministres sont solidairement responsables devant les chambres de la politique générale du gouvernement, et individuellement de leurs actes personnels. [...]
[...] La crise du 16 mai 1877, puis la constitution Grévy en 1879, ont renversé tout cela, et les responsables politiques français de la Troisième République n'accepteront jamais que le président use de ses prérogatives constitutionnelles, le reléguant à l'inauguration des chrysanthèmes selon la formule consacrée, et à une magistrature d'influence. Le président de la République mis hors jeu, la réalité du pouvoir exécutif retombait sur le président du Conseil, institué à partir de 1876 dans le silence des lois constitutionnelles sur le fonctionnement du gouvernement. Celui-ci ne disposait donc d'aucun pouvoir propre, face aux chambres. Le droit de dissolution, pièce maîtresse de l'équilibre parlementaire, disparaît après 1877. Les républicains le considèrent comme illégitime, lors même que la constitution l'autorise. [...]
[...] Nous verrons donc d'abord les modalités de cette instabilité ministérielle puis ensuite les causes identifiables de l'instabilité (II). Un RÉGIME PERPÉTUEL de changement de ministères 1 La faiblesse des coalitions gouvernementales Contrairement à la Cinquième République française, la Troisième connaît une grande fragmentation des forces politiques, qui empêche un seul parti de réunir sur son vote une majorité suffisante à la chambre basse. Les ministères, pour gouverner, doivent donc s'appuyer sur des coalitions dites de concentration essentiellement articulées autour du centre. [...]
[...] Là encore, le silence des lois permet à n'importe quel ministre de poser la question de confiance, sans délibération préalable du cabinet. La confiance est sans cesse en jeu, les gouvernements s'en servent comme d'un moyen de pression pour que la majorité les suive. La puissance du parlement est telle que des gouvernements ont démissionné après le vote d'une résolution de défiance sur des sujets mineurs, ou à une majorité relative, voire même ont démissionné avant un vote défavorable. Si la faiblesse des majorités de gouvernements est le terreau de l'instabilité ministérielle, et le contrôle permanent du parlement la cause immédiate de l'instabilité, des causes plus profondes sont décelables. [...]
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