Dans son arrêt d'octobre 1997 Bloch contre France, la Cour européenne des droits de l'Homme réfère au Conseil Constitutionnel français par l'expression « juridiction constitutionnelle ». Pourtant, le Conseil Constitutionnel n'est pas à proprement parler une juridiction. Une juridiction, comme sa racine latine juris dicere l'indique, est un lieu où la justice est dite, c'est-à-dire rendue. Le caractère juridictionnel du Conseil Constitutionnel est donc sujet à débats. Dans la majorité des pays, la dénomination est claire, qu'il s'agisse de la Cour Suprême américaine ou du Tribunal Constitutionnel Fédéral allemand. Les critères qui fondent le caractère juridictionnel d'un organe sont aussi sujets à débat : globalement il est admis qu'une juridiction doit répondre à des problèmes de droit, elle doit détenir l'autorité de la chose jugée et enfin que des contestations entre les parties doivent être possibles en son sein.
Mais selon le constitutionnaliste Louis Favoreu, le modèle européen de cour constitutionnelle a fini par s'imposer en France, ce qui semble relativiser l'intérêt du débat. Selon lui, quelle que soit la nature du Conseil Constitutionnel, il est devenu semblable à ses confrères, c'est-à-dire une juridiction constitutionnelle. Néanmoins, il n'a pas du tout été créé dans ce but. Ainsi, il convient de s'interroger sur les efforts effectués par le Conseil Constitutionnel (et ceux qu'il effectue toujours aujourd'hui) afin d'être reconnu comme une véritable juridiction constitutionnelle.
[...] En fait, le Conseil Constitutionnel est progressivement devenu une juridiction gardienne des droits et des libertés : selon Dominique Rousseau le Conseil Constitutionnel est arrivé au point opposé où les constituants de 1958 l'avaient placé Cette évolution commence en 1971 : le Conseil Constitutionnel s'émancipe par sa décision relative au droit d'association. Non seulement il crée le bloc de constitutionnalité à la surprise générale, mais en plus il prend position face à l'exécutif afin de protéger les droits et les libertés des citoyens (en l'occurrence, le droit d'association contre une loi voulant le limiter ou tout au moins le contrôler). Le Conseil Constitutionnel devient en quelque sorte une juridiction pour les droits de l'Homme des citoyens français. [...]
[...] Cette similitude est un argument en faveur du caractère juridictionnel du Conseil Constitutionnel. Maurice Hauriou a écrit qu' il n'y a de juridiction que là où un litige est organisé en la forme Suivant cette définition, le Conseil Constitutionnel ne serait pas vraiment une juridiction étant donné que les litiges n'y sont pas traités par confrontation des parties comme dans une juridiction normale (tribunal d'instance, etc.). Néanmoins, le juge électoral (une des fonctions du Conseil Constitutionnel est de juger les contentieux électoraux pour la présidence de la république, l'assemblée nationale et le Sénat selon les articles 58 et 59 de la Constitution, ainsi que les contentieux sur les référendums selon l'article 60) peut entendre des parties lors de contentieux (à propos de la validation de la liste des candidats à la présidentielle, par exemple). [...]
[...] Ce culte du secret qui est celui du Conseil Constitutionnel nuit à son caractère juridictionnel. II) mais la composition du Conseil Constitutionnel ne semble pas suivre cette évolution Une composition éloignée de celle d'une juridiction L'appartenance de droit des anciens présidents (article 56 de la Constitution) semble bien peu digne d'une juridiction. Cette disposition a d'ailleurs une origine assez trouble, puisqu'elle a manifestement été créée en 1958 afin de trouver un emploi et une rémunération pour l'ancien président René Coty. [...]
[...] La présence de ces derniers est rendue de plus en plus légitime par l'accroissement de la fonction de co- législateur du Conseil Constitutionnel. L'études de la liste des membres du Conseil Constitutionnel depuis 1958 montre qu'en réalité, la majorité d'entre eux est issue de l'IEP de Paris et/ou de l'ENA, ce qui atteste de leurs connaissances au moins basiques en droit public, d'autant plus que beaucoup ont suivi une formation universitaire en droit public. Cette constatation va dans le sens de la thèse défendue par L. [...]
[...] Ainsi, la possibilité de saisine offerte en 1974 va dans le sens d'une juridictionnalisation du Conseil Constitutionnel. La saisine par les citoyens (par voie d'exception) a été refusée par le Sénat en 1990 après l'initiative en ce sens de Mitterrand, mais les élections de 2007 viendront probablement bousculer la donne, étant donné que de nombreux candidats ont inscrit cette mesure dans leur programme. L'extension de la saisine aux citoyens serait une avancée indéniable dans le processus de juridictionnalisation du Conseil Constitutionnel, qui deviendrait réellement une cour utilisée pour la défense des droits de l'Homme. [...]
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