La vaste opération de réformation législative entreprise par la toute nouvelle Assemblée Nationale Constituante dès sa création le 9 juillet 1789 a été en partie dirigée par un souci de renflouer les caisses de l'Etat désespérément vides depuis de nombreuses années : l'énorme crise financière française de la fin du XVIIIe siècle, précipitant l'inévitable réunion des Etats Généraux le 5 mai 1789 – érigée bien malgré elle en point de départ des évènements révolutionnaires – a poussé le nouveau corps législatif, soucieux de remettre les comptes de l'Etat à zéro, à trouver dans le processus de vente des terres du domaine un moyen efficace, entre autres, pour supprimer définitivement la dette nationale.
Les constituants s'étant mis rapidement au travail, vue la masse imposante de réformes qu'ils se sont fixées, la décision de légiférer sur les domaines, public et privé, ne s'est pas faite attendre ; à partir du 2 octobre 1789 est mis en place un « Comité des Domaines » qui rend à un mois d'intervalle un rapport très documenté reprenant toute la législation et les principes gouvernant le domaine depuis les temps mérovingiens. Le verdict final qui pèse maintenant sur l'Assemblée est grand : autoriser la vente du domaine, grande source de richesse foncière pour la jeune nation française qui pourrait contrer les risques de banqueroute irréversible, suppose l'abolition de la règle d'inaliénabilité, qui inonde le domaine de la Couronne sacralisée depuis l'Edit de Moulins du 12 février 1566, et pourrait mener, à terme, à un morcellement du domaine national. Le comité résume finalement assez bien le dilemme dans son expertise en concluant par ces mots : « la conservation des domaines a ses avantages […] l'aliénation a les siens ».
Quoiqu'il en soit, le 9 mai 1790, au cours d'une séance de débats mémorables à l'Assemblée, le comité rend compte de son travail ; Bertrand Barère, connu par la postérité comme un membre éminent du terrible Comité de Salut Public et futur thermidorien, symbolise pour l'heure la voix de la commission d'étude ; il soumet au vote des députés, qui l'approuvent, l'article 8 du projet de décret portant réforme du domaine : « tous les domaines de la Couronne peuvent être dans les besoins de l'Etat vendus et aliénés à titre perpétuel et incommutable, en vertu d'un décret spécial des représentants de la nation sanctionnée par le roi ». Cinq jours plus tard, les ventes commencent enfin : un décret officiel autorise l'acquisition privée des domaines nationaux à concurrence de 400 millions de livres, ces biens étant des terres labourables que l'on va rendre à la paysannerie, des marais, des bois ou encore des rentes. La loi du 14 mai 1790, prise le même jour, résume ainsi la situation en réaffirmant que les objectifs de ces ventes sont « le bon ordre des finances et l'accroissement heureux, surtout parmi les habitants des campagnes, du nombre des propriétaires ».
Finalement, l'Assemblée décide de fixer solennellement les règles de cette nouvelle aliénabilité du domaine tout en réaffichant en même temps son désir de le conserver en l'état, comme l'avait souhaité auparavant les juristes royaux : par une législation collective d'une remarquable importance, le décret des 22 novembre-1er décembre 1790, qualifié de « Code domanial », définit le domaine public dans sa composition ainsi que dans ses normes statutaires : quand les premiers articles rappellent la définition du domaine, nouvellement baptisé de « national », et les possibilités pour le roi de se constituer un domaine privé mais seulement de son vivant et non transmissible à ses héritiers, l'article 8 pose le principe fort selon lequel « les domaines nationaux et les droits qui en dépendent sont et demeurent inaliénables sans le consentement et le concours de la nation ; [et reprenant les conclusions de l'article 8 du projet de décret de mai 1790] mais ils peuvent être vendus et aliénés à titre perpétuel et incommutable en vertu d'un décret formel du Corps législatif sanctionné par le Roi, en observant les formalités prescrites pour la validité de ces sortes d'aliénations ».
Les révolutionnaires français, par les procédures de réformes de l'Assemblée Nationale, ont-il fait en l'espèce totalement table rase des principes relatifs au domaine du roi bâtis par l'Ancien Régime ?
L'enjeu de cette étude est double : d'une part, relativiser la volonté toute puissante des révolutionnaires de faire table rase du passé, assurant finalement une reprise des anciens procédés de protection du domaine et une continuité dans le fond somme toute évidente (I) ; mais d'autre part, comprendre que les changements occasionnés par cette même volonté et relatifs au domaine ont été encadrés dans des contextes politique et économique particuliers, se révélant en la forme en rupture totale avec l'Ancien Régime (II).
[...] L'enjeu de cette étude est double : d'une part, relativiser la volonté toute puissante des révolutionnaires de faire table rase du passé, assurant finalement une reprise des anciens procédés de protection du domaine et une continuité dans le fond somme toute évidente ; mais d'autre part, comprendre que les changements occasionnés par cette même volonté et relatifs au domaine ont été encadrés dans des contextes politique et économique particuliers, se révélant en la forme en rupture totale avec l'Ancien Régime (II). [...]
[...] Brièvement, l'opposition du Parlement au début du XVIIe siècle au nouveau roi Henri IV, qui a tenté par lettres patentes de garder en utilisation privée certaines de ses possessions, puis finalement renoncé, a empêché de façon définitive la dynastie des Bourbons de se constituer un domaine privé. De surcroît, la réunion de plein droit de tous les biens du roi à quelque titre que ce soit fait immédiatement songer aux termes utilisés par la loi de 1401 prise par Charles VI, même si les biens proviennent en privé. Enfin, La réunion est perpétuelle et irrévocable, cette clause suppose que le roi ne puisse avoir aucune revendication, de sorte à consolider les droits de la Nation sur son domaine. [...]
[...] On commence à véritablement songer à exploiter le domaine public et non à le surprotéger : cette aliénation du domaine public permet d'envisager la notion de propriété publique. Cette toute nouvelle théorie de la Révolution, forgée dans une conjoncture politique particulière, n'est pas aboutie, les constituants ont simplement distingué des biens faisant partie du domaine public, en tout point aliénables, d'autres biens similaires mais inaliénables. Cette distinction n'a pas formellement été pressentie comme cela par les députés, la conscience n'étant pas de distinguer deux types de biens dans le domaine ; et pourtant, cette distinction sera reprise au XIXe siècle au point de fonder véritablement deux domaines de l'Etat. [...]
[...] La Nation doit alors rendre un décret pour aliéner son domaine, lequel décret devant émaner du corps législatifs et être visé par le Roi. La possible aliénation par l'exploitation n'est pas illimitée, le Code domanial prévoit directement des cas où l'inaliénabilité ne pourra être discutée : pour les bois et les forêts (article car ils constituent une source de richesse par la Nation, il convient donc de les protéger et de les garder sous contrôle, ainsi que pour les biens et choses cités aux articles 2 et concernant schématiquement des éléments d'importance pour le public tels que les voies de communications, les fortifications, etc. [...]
[...] Sûrement ici l'affaire ne fut pas considérablement débattue par les députés : ceux- ci n'auraient jamais octroyé autant de biens au roi s'ils avaient prophétisé un seul instant que la dislocation du domaine public d'avec la personne du Roi empêcherait ce dernier de vivre sans la constitution pour lui d'un domaine privé. La Révolution Française, pour faire bonne figure, se ment à elle- même : faire table rase du passé est impossible, le changement aurait été encore plus brutal encore. [...]
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