"L'Etat, c'est moi". Par ces mots, Louis XIV résumait le principe fondamental de l'absolutisme monarchique de droit divin en France. Le Roi, doté d'un pouvoir suprême venant d'en haut, détenait compétence sur tout et incarnait réellement l'Etat. Si notre histoire constitutionnelle vit la France passer d'un régime absolutiste à une démocratie parlementaire, n'en demeura pas moins une constante : le rayonnement, ne serait-ce que symbolique, du Chef de l'Etat. Même les monarques constitutionnels ne concevaient pas d'être écartés de l'exercice du pouvoir : le Roi Louis-Philippe réfute l'idée d'A. Thiers selon laquelle "le roi règne mais ne gouverne pas" et adhère à celle de F. Guizot : "le trône n'est pas un fauteuil vide". Sous les III° et IV° Républiques, le parlementarisme va domestiquer l'exécutif et reléguer le Président de la République a des tâches essentiellement protocolaires. C'est néanmoins à cette époque qu'apparaît, de fait, le "domaine réservé" : le Président ne s'occupe pas de politique intérieure, de peur de tomber sous l'opposition des parlementaires, mais se cantonne à des champs relativement consensuels tels la politique extérieure.
Le "domaine réservé", ou "domaine éminent" du Président de la République est toujours une réalité sous la V° République. La formule fut même créée par le Général De Gaulle, dans les premiers mois du régime. L'idée en est simple : le Président, au-delà de ses pouvoirs propres clairement définis par la Constitution, détient un ensemble de fonctions "traditionnelles", qu'il exerce de fait en empiétant plus ou moins sur les prérogatives du Premier Ministre et des membres du Gouvernement.
Nous nous demanderons donc si, sous la V° République, il est pertinent de vouloir préserver, voire consacrer, le domaine réservé. Ainsi après avoir vu pourquoi et comment notre régime actuel a repris l'idée du domaine éminent, nous analyserons que le mode de gestion de la dyarchie exécutive qu'elle instaure peut être vu comme critiquable ou légitime.
[...] Le texte de 1958 dispose tout d'abord en son article que "le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat". Au second alinéa, on lit qu' "il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités". Placé au tout début du titre concernant le Président, cet article confère donc à la faction, au total, six missions capitales. [...]
[...] Tout d'abord, la République conçue aux origines par nombre de juristes comme un régime parlementaire renouvelé ne vit jamais réellement le jour, principalement en raison des circonstances initiales. En 1958, les affaires de l'Algérie, mais aussi celles de la Communauté Française nouvellement formée, occupaient le devant de la scène politique. Rappelons que le Président français Charles De Gaulle était également celui de la Communauté. En outre, la guerre d'Algérie imposait un traitement décisif du problème par un leadership exécutif fort : les affaires liées à l'Algérie se devaient de constituer un domaine réservé pour être traitées efficacement par la voie politique. [...]
[...] Tout d'abord, cette dichotomie permet de concilier deux légitimités : le Président est un élu du suffrage universel (à l'époque pour un mandat de sept ans), le Gouvernement reflète la majorité à l'Assemblée Nationale, dont les députés sont également élus au suffrage universel (pour cinq ans). Lors de la première cohabitation, le Président Mitterrand ne démissionna pas, s'estimant investi depuis 1981 de la légitimité présidentielle mais ne fit évidemment pas non plus (à l'instar de Louis-Napoléon Bonaparte) un coup d'état, reconnaissant ainsi de facto la légitimité parlementaire et donc gouvernementale. Que fallait-il donc faire pour que ces deux pouvoirs légitimes puissent en pratique tous deux gouverner ? La solution du "domaine réservé" que l'on laissait au Président semblait concilier tout le monde. [...]
[...] du Seuil, Paris p. Charles ZORGBIBE, Le Chef de l'Etat en question, Ed. Atlas Economica, Paris p. Bernard LACROIX et Jacques LAGROYE, Le Président de la République : Usages et genèses d'une institution, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris p. Jean MASSOT, Chef de l'Etat et chef du Gouvernement : dyarchie et hiérarchie, Les Etudes de la Documentation Française, Paris p. [...]
[...] Cela n'a pas empêché les Présidents "de cohabitation" de plaider pour que la France "parle d'une seule voix", afin que cette voix ait plus de portée. L'utilisation renouvelée du "domaine réservé" en période de cohabitation a donc permis de trouver un équilibre pragmatique entre un Président isolé mais traditionnellement maître de certaines questions et un Gouvernement issu de la majorité parlementaire, malgré des tensions et de nécessaires consensus de compromis. En conclusion, nous voyons que la conservation du domaine réservé sous la République, opérée à travers des pratiques éventuellement contestables et malgré le non-explicite des textes constitutionnels, a permis au Président, à travers son influence sur la défense et les affaires étrangères notamment, d'imposer son leadership décisif au sein de la dyarchie exécutive. [...]
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