« Oui, la construction européenne nous engage non seulement conventionnellement, mais aussi constitutionnellement », déclarait Pierre Mazeaud en 2005. À travers ces mots, l'ancien président du Conseil Constitutionnel met en évidence le fait que le développement du droit communautaire, en plus d'approfondir le processus d'intégration européenne, a également un impact non négligeable sur notre Constitution.
En effet, il est possible de constater que la fréquence de révision du texte constitutionnel français a augmenté parallèlement à la construction du droit communautaire : 1992 avec le traité de Maastricht, 1993 pour un droit d'asile en concordance avec la convention Schengen, 1999 avec le traité d'Amsterdam, 2003 pour le mandat d'arrêt européen, 2005 avec le TCE (le Traité instituant la Communauté européenne) et enfin 2008 avec le Traité de Lisbonne. L'approfondissement communautaire a donc eu un effet constitutionnel certain : constitutionnalité et conventionalité sont donc aujourd'hui intimement liées en France.
Cette étroite imbrication du droit interne et du « droit venu d'ailleurs », pour reprendre l'expression de Georges Vedel, a-t-elle une influence sur la hiérarchie des normes en France ? La traditionnelle suprématie constitutionnelle française résiste-t-elle à l'incursion de ce droit externe ? Si un rapport de force s'est mis en place entre les ordres interne et communautaire, la Constitution française a rapidement été submergée par le droit de l'Union européenne.
[...] Ensuite, certaines compétences de l'Union européenne lui permettent de faire valoir sa primauté par rapport à la Constitution française. Par exemple, le Conseil Constitutionnel en 2006 avait affirmé que la transposition d'une directive ne saurait aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France Or, cette identité constitutionnelle de la France fait écho à l'attachement de la France à la défense des droits et des libertés fondamentales. Cependant, l'Union européenne a connu une évolution assez récente vers une Union des droits défendant l'égalité et les droits fondamentaux : aussi paraît-il difficile qu'une directive de l'Union européenne s'inscrive en contrepoint de l'identité constitutionnelle française De ce fait, le droit communautaire peut s'appuyer sur le fait qu'il s'applique à défendre les piliers de cette identité à une échelle plus large pour prétendre à la primauté sur le texte constitutionnel français. [...]
[...] Je veux parler de tout ce qui est inhérent à notre identité constitutionnelle, au double sens du terme inhérent : crucial et distinctif A travers ces mots, l'ancien président du Conseil Constitutionnel plaçait ainsi la Constitution française sur un piédestal en minimisant les principes de primauté et d'effet direct individuel sur lesquels est construit le droit communautaire. D'ailleurs, cette idée sera reprise peu de temps après par le Conseil Constitutionnel qui déclara dans un arrêt en 2006 que la primauté du droit de l'Union européenne reste inopposable, dans l'ordre juridique interne, aux dispositions de la Constitution française inhérentes à ses structures fondamentales Il existe donc, à la base, un réel et féroce attachement des juridictions françaises à leur texte constitutionnel. [...]
[...] Enfin, devant cette suprématie factuelle du droit communautaire sur la Constitution, les juridictions françaises ont fini par admettre une reconnaissance constitutionnelle implicite de la prévalence du droit communautaire. En effet, comme nous l'avons vu, le droit communautaire semble s'imposer sur la Constitution dans les faits. D'ailleurs, une loi française qui se trouverait être en conformité avec la Constitution, mais contradictoire avec le droit communautaire ne saurait être maintenue longtemps : les sanctions prévues par le droit communautaire et l'incapacité technique des juridictions françaises face à leurs homologues européens feraient rapidement modifier cette loi pour qu'elle soit en conformité avec le droit communautaire. [...]
[...] Cependant, cette arme de la réserve de constitutionnalité se révèle peu puissante en réalité. En effet, dans la mesure où le Conseil Constitutionnel a affirmé que la transposition des directives communautaires était une exigence constitutionnelle cela implique qu'au final cette exigence conduit à laisser potentiellement infiltrer le droit français une directive inconstitutionnelle : si une directive est appréciée par les juridictions françaises comme étant inconstitutionnelle, alors elle ne peut être incorporée dans la Constitution en l'état ; cette dernière va donc être révisée afin de lever cette barrière d'inconstitutionnalité Ainsi, dans les faits, c'est donc au texte constitutionnel français de s'adapter afin de se plier aux impératifs communautaires. [...]
[...] De ce fait, en analysant d'une part la position prise par le juge constitutionnel et d'autre part celle prise par le juge administratif français, on constate que les deux ont désormais pris acte de la primauté du droit communautaire. En effet, quand le juge constitutionnel estime qu'une loi de transposition de directive communautaire est contraire à la Constitution, il appelle le pouvoir constituant à réviser la Constitution, à l'adapter au droit communautaire afin de faciliter la pénétration de celui-ci dans le droit interne français. [...]
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