Le 24 Thermidor de l'an III, Thibaudeau fit rejeter une proposition de Sieyès, qui voulait créer un corps de gardiens de la Constitution :
"... en voulant donner un gardien aux pouvoirs publics, on leur donnerait un maître qui les enchaînerait pour les garder plus facilement... "
Thibaudeau exprimait là un sentiment qui allait devenir une longue tradition des milieux politiques français. Ce n'est qu'en 1958 qu'est créé le premier organe chargé de veiller au respect de la Constitution par les pouvoirs publics : le Conseil constitutionnel. De Thibaudeau à Debré, 169 ans. Le temps a-t-il enfin atténué l'hostilité des hommes politiques envers un juge constitutionnel ? Pas le moins du monde. En avril 1988, dans la revue Pouvoirs, François Mitterrand évoque encore la menace d'un " gouvernement des juges ", faisant preuve - à tout le moins - d'une certaine méfiance. Entre " gouvernement des juges " et veto des sages, le Conseil constitutionnel a-t-il trouvé sa place ? Remarquons d'abord que son institution en 1958 établit ce que P. Avril et J. Gicquel appelleraient le " gouvernement de la Constitution " : le Conseil constitutionnel parachève l'Etat de droit et vient bloquer les initiatives législatives dangereuses. Mais le rôle nouveau qu'il s'est donné consiste à outrepasser les limites fixées par la Constitution, et à l'interpréter : les juges constitutionnels ne pourraient-ils bien vite se former en " gouvernement des juges " ?
[...] La CS est même parvenue à neutraliser le Sherman Act, dirigé contre les trusts. Que voit-on au contraire dans le fonctionnement du CC ? Son action vise avant tout à maintenir, à protéger les libertés et droits fondamentaux. Et sa fameuse décision du 16 juillet 1971 (comme d'autres) ne s'est pas appuyée sur une interprétation si subjective (se demander ce qu'auraient fait ou pensé les constituants . ) mais sur deux textes aussi fondamentaux que la Déclaration des droits de 1789 et le Préambule de 1946. [...]
[...] Le Conseil constitutionnel est-il une nouvelle cour suprême? Petit détour. La CS a lutté jusque vers 1830 pour faire reconnaître son autorité : c'est l'époque de l'arrêt Marbury vs. Madison (1803) et du Chief Justice John Marshall. L'autorité de la CS finit par être reconnue, et incontestée. Mais jusque vers 1880, cette autorité s'exerce avec modération : de 1803 à 1870, seules trois lois fédérales sont déclarées inconstitutionnelles. Ce n'est vraiment qu'entre 1880 et 1936 que l'on peut parler d'un " gouvernement des juges Avec le 14e amendement et la clause " due process of law " Aucun Etat ne pourra priver une personne de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans une procédure légale ou régulière la CS peut désormais opposer au droit émanant du législateur ses propres conceptions juridiques, et peut contrôler toute la législation relative aux libertés en vérifiant l'existence de cette procédure, et en appréciant sa régularité. [...]
[...] Sur près de 150 déclarations d'inconstitutionnalité, moins de dix sont intervenues pour violation d'un PFRLR. Un autre risque existe, lié cette fois à la composition du CC. Il existe deux catégories de membres : les membres de droit (anciens Présidents de la République), et les membres nommés (trois d'entre eux étant nommés par le Président de la République, trois autres par le Président de l'Assemblée nationale et trois par le Président du Sénat). Les critiques portent essentiellement sur le mode de nomination : il n'est pas exclu que les trois Présidents puissent choisir des personnalités proches de leurs orientations politiques. [...]
[...] L'Etat de droit demeurait donc inachevé : à l'absolutisme monarchique succédait l'omnipotence parlementaire. Un Parlement qui s'était assujetti l'exécutif pouvait-il seulement tolérer qu'un juge constitutionnel contrôle son oeuvre ? On le voit : il manquait un élément essentiel, et parler d'Etat de droit dans de telles conditions relève de l'optimisme béat. Avec la Constitution de 1958, un juge constitutionnel est enfin créé. Article 61 : " Les lois organiques [ . ] et les règlements des assemblées parlementaires [ . [...]
[...] En fait, les attaques dirigées contre lui sont avant tout des attaques politiques. Avant 1981, l'opposition socialiste ne manqua pas une occasion de mettre en oeuvre la censure du Conseil. Une fois revenue au pouvoir, il a suffi que le Conseil applique aux lois votées par la nouvelle majorité les mêmes principes qu'auparavant pour que se multiplient les critiques et les dénonciations du " gouvernement des juges " . Aucun ministre n'aime se faire censurer. [...]
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