Rule of Law, Etat de droit, Rechstaat sont autant de dénominations différentes pour la formalisation d'une même figure juridique qui s'est imposée d'abord dans les sociétés occidentales puis sur l'ensemble de la scène politique internationale. En plaçant les gouvernants au-dessous des lois, le concept révèle une vision libérale du pouvoir qui s'est longtemps forgée au fil de l'évolution des Etats. Graduellement, la diffusion et l'approfondissement aussi bien théorique que pratique de l'encadrement du pouvoir a élevé l'Etat de droit au statut de norme incontournable et l'ont inscrit dans le droit positif depuis la deuxième guerre mondiale. L'internationalisation des droits de l'homme, corollaire de la mondialisation, a relégué au second plan voire annihilé les subtilités d'interprétation de la notion pour faire converger toutes ces formulations vers un même horizon lointain : la sécurité juridique universelle et la protection des libertés. En réaction à la folie destructrice et incontrôlée des totalitarismes, les démocraties prennent conscience en 1945 du bien-fondé d'un « dispositif de limitation de l'emprise étatique » (J.J. Chevallier)
L'Etat de droit apparaît comme le système idoine dans une double optique de canalisation et de progression de la démocratie. Ce sont des Etats en quête de légitimité qui adoptent ce concept fondateur du droit public moderne pour franchir une étape substantielle et se protègent à la fois de l'arbitraire du souverains et des excès du peuple : l'Etat de droit régule le comportement de tous les détenteurs du pouvoir, c'est-à-dire même lorsque les décisions ont une légitimité démocratique. Ce garde-fou pèse sur les décisions politiques par le truchement de règles de droit oeuvrant pour le bien commun.
Stade très avancé de la protection des droits, il bénéficie d'une première traduction concrète en 1949 dans une République fédérale allemande encore sous le traumatisme du revirement soudain d'un régime démocratique qui apparaît désormais lacunaire. Depuis, l'Etat de droit connaît un succès non démenti qui pousse notamment certains pays africains et est-européens à calquer fidèlement ce modèle gage d'une adhésion populaire au corpus des droits fondamentaux dans leurs jeunes démocraties : ainsi en est-il par exemple du Bénin en 1990 ou de la Russie en 1993. Quoique entachée par la lenteur du processus au Proche Orient et en Asie, cette consécration sur le plan international amène à s'interroger sur la pertinence de cet outil de légitimation du pouvoir et sur les conditions de sa diffusion dans ces démocraties dont ils conditionne la pérennité et la modération. Quels ont été les facteurs déclencheurs de cet engouement et comment l'Etat de droit a-t-il acquis son statut de référence rituelle dans les Constitutions ?
Une analyse des origines nous permettra d'abord d'expliciter les motivations et les fondements théoriques de la conquête de l'Etat de droit qui s'est amorcé dès le XIXe siècle. Cependant, si juridiquement et historiquement il s'est affirmé en vertu de principes libéraux, il n'en demeure pas moins que l'acquisition du Rule of Law ne peut être que partiel et temporaire, d'où la nécessité d'une remise en cause permanente de la conformité des régimes politiques à l'Etat de droit.
[...] La séparation des pouvoirs fonde en tout cas l'Etat de droit et se concrétise dans la Constitution écrite, qui devient supérieure à toutes les autres lois. Allant même plus loin que Montesquieu, Hamilton érige le juge en garant de la suprématie de la Constitution (pouvoir de déclarer nuls les actes législatifs contraires à la loi fondamentale) : c'est la naissance du contrôle de constitutionnalité. b. La révolution française : souveraineté nationale et démocratie représentative S'autoproclamant Assemblée nationale constituante le 17 juin 1789, les députés du Tiers Etats se donnent pour mission de donner une Constitution à la France Pour Marcel Gauchet il s'agit là d' une métamorphose de la représentation puisque là où les Etats généraux produisait une représentation en ordre de la nation, l'Assemblée la représenta dans son unité, changement que confirmera la nuit du 4 août. [...]
[...] L'affirmation de l'Etat de droit et la démocratie contre l'exclusivité du pouvoir Pourtant, la restriction de la marge de manœuvre des dirigeants va de pair avec l'affirmation citoyenne puisque la poussée démocratique, en dissociant progressivement l'Etat de ses dirigeants, joint le peuple au pouvoir de décision. Lorsque Louis XIV, dans sa célèbre formule L'Etat, c'est moi s'affirme comme l'incarnation d'un appareil étatique qu'il suppose donc potentiellement tout-puissant, il récuse à la fois l'implication populaire dans la gouvernance et la suprématie des lois guidant son action. Conformément aux thèses de Kantorowicz dans The King's two bodies, il considère l'Etat comme un des deux corps du monarque, le premier étant physique et périssable mais le second divinisé car affilié à l'Etat. [...]
[...] Cette pensée en termes de moyens et non de fins est dite matérielle. Les théories anglo- saxonnes et continentales sont divergentes, mais au final elles s'amalgament et se complètent plus que ne s'excluent mutuellement. c. La remise en cause kelsénienne de l'Etat de droit Reste un discours dissonant dans les années 1930 avec la théorie du juriste allemand Hans Kelsen formulée dans Théorie pure du droit (1934)et qui qualifie l'Etat de droit de pléonasme La notion ne saurait être que tautologique puisque par essence, l'Etat est producteur d'un droit auquel il s'identifie. [...]
[...] La nécessité d'un pouvoir autolimité Les Lumières perçoivent déjà le caractère redoutable d'un pouvoir qui refuse de s'astreindre à des règles préétablies. Selon eux, les droits individuels tirent leur ascendant sur le droit positif de l'antériorité puisqu'ils préexistent à la société civile. Dès lors, ils jettent les bases d'une pensée qui fournit une palette d'outils conceptuels précieux aux théoriciens de l'Etat de droit, en réfléchissant pour la première fois en termes de mouvement rétroactif : l'Etat est source de droit mais il est simultanément encadré par un droit dont il se doit de respecter la suprématie. [...]
[...] De même, le juge est le garant de la protection des droits fondamentaux des individus et le gardien des valeurs démocratiques notamment à travers le contrôle de constitutionnalité des lois. L'essor des juridictions constitutionnelles a modifié en profondeur les équilibres politiques. On constate en effet une tendance à donner au juge un rôle plus important quant au contenu du droit. Les parlementaires doivent tenir compte de leurs interdits et prescriptions, leur liberté de décision est limitée par une jurisprudence constitutionnelle dont l'importance n'a cessé de s'accroître, et qui est notamment visible dans les blocs de constitutionnalité En France, la réforme de la saisine du Conseil constitutionnel en 1974 a fait de celui-ci un intervenant presque systématique du processus législatif (car instance ultime de recours pour l'opposition). [...]
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