« Le droit européen prime désormais sur la Constitution française »… Pareil titre d'un quotidien du soir était destiné à retenir l'attention. Au lendemain des résultats des élections européennes, il était de nature à raviver les cendres encore chaudes des combats entre nationaux « souverainistes » et européens convaincus. Ce titre avait aussi de quoi faire sourire le juriste averti de la complexité des rapports du Conseil constitutionnel avec le droit communautaire.
Le Conseil constitutionnel a souvent eu à aborder la question du droit communautaire par le biais du contrôle de constitutionnalité des Traités, d'une part, et plus récemment, par le biais du contrôle de lois de transpositions des directives, d'autre part.
Sur le contrôle de constitutionnalité des Traités, le juge constitutionnel a forgé une expression, celle de « conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ». Chaque fois que celles-ci se trouvent atteintes par un Traité, l'inconstitutionnalité est prononcée. Dès lors, le Traité ne peut être ratifié sans révision constitutionnelle préalable, elle-même décidée souverainement par la nation ou le peuple . Ainsi la primauté ne peut jouer qu'une fois le Traité ratifié.
Il reste alors à savoir comment le juge constitutionnel confronte la loi nationale au Traité ratifié. La jurisprudence IVG est bien connue et donne une première réponse à la question. « Une loi contraire à un Traité n'est pas pour autant contraire à la Constitution ». Dès lors le Conseil constitutionnel a décliné sa compétence au profit des juridictions inférieures.
Au niveau communautaire, on sait que la Cour de justice des Communautés européennes applique de façon fort extensive le principe de primauté. Selon cette juridiction, un Etat membre ne peut exciper, pour se soustraire à ses obligations d'application ou de transposition du droit communautaire dans les délais prescrits par les actes communautaires, d'aucune règle nationale, réglementaire, législative ou … « même constitutionnelle ».
Les juridictions nationales ou communautaires n'en gardent pas moins leurs compétences respectives. Si les « juridictions nationales (…) ne sont pas compétentes pour constater elles-mêmes l'invalidité des actes des institutions communautaires », de manière réciproque la Cour de justice des Communautés européennes « n'a pas compétence pour annuler les actes législatifs ou administratifs d'un des Etats membres ».
Dans cet optique, la décision du 10 juin 2004 est l'une des plus importantes que le Conseil constitutionnel ait prises ces dernières années parce qu'elle règle la question de la répartition des rôles de la Haute juridiction française et le juge communautaire.
En l'espèce, la loi pour la confiance dans l'économie numérique vient transposer la directive communautaire 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique. Sur le fondement de l'article 61 alinéa 2 de la Constitution , le Conseil constitutionnel a été saisi, le 18 mai 2004, par deux saisines émanant, pour la première, de plus de soixante députés de l'opposition et, pour la seconde, de plus de soixante sénateurs de l'opposition. Rendue le 10 juin 2004, la décision 2004-496 DC a été communiquée au public deux jours après les élections européennes, soit cinq jours après le délibéré, afin d'éviter toute interférence dans le débat électoral.
La question de fond était de savoir s'il appartenait au juge de la rue Montpensier d'apprécier la constitutionnalité du droit dérivé de l'Union européenne, en particulier à l'occasion d'un contrôle exercé sur une loi de transposition d'une directive communautaire. Cette question se réfère à une question plus large qui est de savoir laquelle, entre la norme constitutionnelle française et la norme communautaire, prime sur l'autre. Si la Constitution française prime, le juge constitutionnel pourra contrôler la constitutionnalité de la loi de transposition. Dans le cas contraire, la Haute juridiction ne pourra effectuer un tel contrôle.
La réponse du Conseil semble tenir en deux propositions contradictoires : l'incompétence du juge suprême pour contrôler la constitutionnalité des lois de transposition des directives ( I. ) tout en concluant à la primauté de la Constitution sur le droit communautaire ( II. ).
Cette jurisprudence sera confirmée et complétée par trois décisions : la décision 2004-497 DC sur la loi relative aux communications électroniques et aux services de communication audio-visuelle , la décision 2004-498 DC sur la loi relative à la bioéthique et la décision 2004-499 DC sur la loi relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel
[...] Sur un plan procédural, c'est le renvoi préjudiciel qui est envisagé par la Haute juridiction, comme la voie de droit permettant d'opérer ce contrôle de la validité des directives. Mais peut-on envisager que le Conseil constitutionnel active lui-même l'article 234 du Traité C.E. ? Sur le plan interne constitutionnel, rien ne parait l'interdire. Mais en pratique, les conditions dans lesquelles le Conseil constitutionnel exerce son contrôle (notamment le délai d'un mois pour statuer, conformément à l'article 61de la Constitution[25]) ne lui permettent pas de recourir à cette procédure[26]. [...]
[...] Cette réserve de constitutionnalité comprend donc le contenu de la Constitution française sauf les droits fondamentaux reconnus en communs par le droit communautaire et le droit national[46]. En définitive, il s'agit de l'article 6 de la Déclaration de 1789 concernant les critères d'accès aux emplois publics, mais surtout l'article 1er de la Constitution et son titre I : De la souveraineté qui traite de l'indivisibilité, de la laïcité, de l'égalité sans distinction d'origine, de race ou de religion, de la décentralisation, de la langue, des conditions d'électorat . [...]
[...] Conseil constitutionnel juillet 2004, 2004-498 DC, Loi relative à la bioéthique. Conseil constitutionnel juillet 2004, 2004-499 DC, Loi relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel. Conseil constitutionnel novembre 2004, 2004-505 DC, Traité établissant une Constitution pour l'Europe. Autres - Article de presse LE MONDE du 17 juin 2004. - Débats et rapports officiels J.O. débats A.N mai 1992, p (3ème séance du 12 mai). J.O. débats A.N mai 1992, p (2ème séance du 6 mai). [...]
[...] Toutefois, à la demande du gouvernement, s'il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours CHAMUSSY Le Conseil constitutionnel face à la primauté du droit communautaire AJDA janvier 2005, p.220. Article 234.2 du Traité C.E. : Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des Etats membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de justice de statuer sur cette question CJCE juin 1966, Vaasen Cöbbels, aff. [...]
[...] Dans le cadre de l'article 61 de la Constitution, il semblerait difficile pour le Conseil constitutionnel de convaincre la Cour qu'il est une juridiction au regard de ce critère[30]. Cependant, l'incompétence du Conseil doit être relativisée. En effet, le Conseil estime qu'il n'était pas compétent pour se prononcer sur des dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires d'une directive car examiner une telle loi reviendrait à se prononcer sur la directive elle-même. Il doit donc s'agir des dispositions qui sont directement applicables en droit interne et qui ne laissent pas de marge de manœuvre au stade de la transposition[32]. [...]
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